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En récompense , les simples soldats lui vouaient tous un peu de ce sentiment que les enfants portent à une bonne mère ; car , pour eux , il savait être à la fois indulgent et sévère . Jadis soldat comme eux , il connaissait les joies malheureuses et les joyeuses misères , les écarts pardonnables ou punissables des soldats qu' il appelait toujours ses enfants , et auxquels il laissait volontiers prendre en campagne des vivres ou des fourrages chez les bourgeois .
Quant à son histoire intime , elle était ensevelie dans le plus profond silence . Comme presque tous les militaires de l' époque , il n' avait vu le monde qu' à travers la fumée des canons , ou pendant les moments de paix si rares au milieu de la lutte européenne soutenue par l' Empereur .
S' était - il ou non soucié du mariage ? la question restait indécise .
Quoique personne ne mît en doute que le commandant Genestas n' eût eu des bonnes fortunes en séjournant de ville en ville , de pays en pays , en assistant aux fêtes données et reçues par les régiments , cependant personne n' en avait la moindre certitude .
Sans être prude , sans refuser une partie de plaisir , sans froisser les moeurs militaires , il se taisait ou répondait en riant lorsqu' il était questionné sur ses amours .
à ces mots : " Et vous , mon commandant ? " adressés par un officier après boire , il répliquait : " Buvons , messieurs ! "
Espèce de Bayard sans faste , M . Pierre - Joseph Genestas n' offrait donc en lui rien de poétique ni rien de romanesque , tant il paraissait vulgaire . Sa tenue était celle d' un homme cossu . Quoiqu' il n' eût que sa solde pour fortune , et que sa retraite fût tout son avenir , néanmoins , semblable aux vieux loups du commerce auxquels les malheurs ont fait une expérience qui avoisine l' entêtement , le chef d' escadron gardait toujours devant lui deux années de solde et ne dépensait jamais ses appointements .
Il était si peu joueur , qu' il regardait sa botte quand en compagnie on demandait un rentrant ou quelque supplément de pari pour l' écarté .
Mais s' il ne se permettait rien d' extraordinaire , il ne manquait à aucune chose d' usage .
Ses uniformes lui duraient plus longtemps qu' à tout autre officier du régiment , par suite des soins qu' inspire la médiocrité de fortune , et dont l' habitude était devenue chez lui machinale .
Peut - être l' eût - on soupçonné d' avarice sans l' admirable désintéressement , sans la facilité fraternelle avec lesquels il ouvrait sa bourse à quelque jeune étourdi ruiné par un coup de carte ou par toute autre folie .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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