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Voilà sans doute le prix qui attend ma tendresse pour vous . Merci , cher comte , je ne veux de rivale ni au - delà ni en deçà de la tombe . Quand on a sur la conscience de pareils crimes , au moins ne faut - il pas les dire .
Je vous ai fait une imprudente demande , j' étais dans mon rôle de femme , de fille d' Eve , le vôtre consistait à calculer la portée de votre réponse . Il fallait me tromper ; plus tard , je vous aurais remercié .
N' avez - vous donc jamais compris la vertu des hommes à bonnes fortunes ? Ne sentez - vous pas combien ils sont généreux en nous jurant qu' ils n' ont jamais aimé , qu' ils aiment pour la première fois ? Votre programme est inexécutable .
Etre à la fois Mme de Mortsauf et lady Dudley , mais , mon ami n' est - ce pas vouloir réunir l' eau et le feu ? Vous ne connaissez donc pas les femmes ? elles sont ce qu' elles sont , elles doivent avoir les défauts de leurs qualités .
Vous avez rencontré lady Dudley trop tôt pour pouvoir l' apprécier , et le mal que vous en dites me semble une vengeance de votre vanité blessée ; vous avez compris Mme de Mortsauf trop tard , vous avez puni l' une de ne pas être l' autre ; que va - t - il m' arriver à moi qui ne suis ni l' une ni l' autre ? Je vous aime assez pour avoir profondément réfléchi à votre avenir , car je vous aime réellement beaucoup .
Votre air de chevalier de la Triste Figure m' a toujours profondément intéressée : je croyais à la constance des gens mélancoliques ; mais j' ignorais que vous eussiez tué la plus belle et la plus vertueuse des femmes à votre entrée dans le monde .
Eh bien , je me suis demandé ce qui vous reste à faire : j' y ai bien songé .
Je crois , mon ami , qu' il faut vous marier à quelque Mme Shandy , qui ne saura rien de l' amour , ni des passions , qui ne s' inquiétera ni de lady Dudley , ni de Mme de Mortsauf , très indifférente à ces moments d' ennui que vous appelez mélancolie pendant lesquels vous êtes amusant comme la pluie , et qui sera pour vous cette excellente soeur de charité que vous demandez .
Quant à aimer , à tressaillir d' un mot , à savoir attendre le bonheur , le donner , le recevoir ; à ressentir les mille orages de la passion , à épouser les petites vanités d' une femme aimée , mon cher comte , renoncez - y .
Vous avez trop bien suivi les conseils que votre bon ange vous a donnés sur les jeunes femmes ; vous les avez si bien évitées que vous ne les connaissez point .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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