----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

O mon Dieu , Félix , je vous fais ces aveux afin de vous épargner des remords , peut - être aussi afin de vous apprendre que je n' étais pas insensible , que nos souffrances d' amour étaient bien cruellement égales et qu' Arabelle n' avait aucune supériorité sur moi . J' étais aussi une de ces filles de la race déchue que les hommes aiment tant .
Il y eut un moment où la lutte fut si terrible que je pleurais pendant toutes les nuits : mes cheveux tombaient . Ceux - là , vous les avez eus ! Vous vous souvenez de la maladie que fit M .
de Mortsauf . Votre grandeur d' âme d' alors , loin de m' élever , m' a rapetissée . Hélas ! dès ce jour je souhaitais me donner à vous comme une récompense due à tant d' héroïsme , mais cette folie a été courte .
Je l' ai mise aux pieds de Dieu pendant la messe à laquelle vous avez refusé d' assister . La maladie de Jacques et les souffrances de Madeleine m' ont paru des menaces de Dieu , qui tirait fortement à lui la brebis égarée .
Puis votre amour si naturel pour cette Anglaise m' a révélé des secrets que j' ignorais moi - même . Je vous aimais plus que je ne croyais vous aimer .
Madeleine a disparu . Les constantes émotions de ma vie orageuse , les efforts que je faisais pour me dompter moi - même sans autre secours que la religion , tout a préparé la maladie dont je meurs . Ce coup terrible a déterminé des crises sur lesquelles j' ai gardé le silence .
Je voyais dans la mort le seul dénouement possible de cette tragédie inconnue . Il y a eu toute une vie emportée , jalouse , furieuse , pendant les deux mois qui se sont écoulés entre la nouvelle que me donna ma mère de votre liaison avec lady Dudley et votre arrivée .
Je voulais aller à Paris , j' avais soif de meurtre , je souhaitais la mort de cette femme , j' étais insensible aux caresses de mes enfants .
La prière , qui jusqu' alors avait été pour moi comme un baume , fut sans action sur mon âme . La jalousie a fait la large brèche par où la mort est entrée .
Je suis restée néanmoins le front calme . Oui , cette saison de combats fut un secret entre Dieu et moi . Quand j' ai bien su que j' étais aimée autant que je vous aimais moi - même et que je n' étais trahie que par la nature et non par votre pensée , j' ai voulu vivre ... et il n' était plus temps .
Dieu m' avait mise sous sa protection , pris sans doute de pitié pour une créature vraie avec elle - même , vraie avec lui , et que ses souffrances avaient souvent amenée aux portes du sanctuaire .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
Page:1218