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En tombant sur mon coeur , ce coup de foudre y alluma des désirs qui sommeillaient à mon insu ; je devinai soudain tout ce que voulait dire ma tante quand elle me baisait sur le front en s' écriant : " Pauvre Henriette ! " En retournant à Clochegourde , le printemps , les premières feuilles , le parfum des fleurs , les jolis nuages blancs , l' Indre , le ciel , tout me parlait un langage jusqu' alors incompris , et qui rendait à mon âme un peu du mouvement que vous aviez imprimé à mes sens .
Si vous avez oublié ces terribles baisers , moi , je n' ai jamais pu les effacer de mon souvenir : j' en meurs ! Oui , chaque fois que je vous ai vu depuis , vous en ranimiez l' empreinte ; j' étais émue de la tête aux pieds par votre aspect , par le seul pressentiment de votre arrivée .
Ni le temps , ni ma ferme volonté n' ont pu dompter cette impérieuse volupté .
Je me demandais involontairement : Que doivent être les plaisirs ? Nos regards échangés , les respectueux baisers que vous mettiez sur mes mains , mon bras posé sur le vôtre , votre voix dans ses tons de tendresse , enfin les moindres choses me remuaient si violemment que presque toujours il se répandait un nuage sur mes yeux : le bruit des sens révoltés remplissait alors mon oreille .
Ah ! si dans ces moments où je redoublais de froideur , vous m' eussiez prise dans vos bras , je serais morte de bonheur .
J' ai parfois désiré de vous quelque violence , mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée .
Votre nom prononcé par mes enfants m' emplissait le coeur d' un sang plus chaud qui colorait aussitôt mon visage , et je tendais des pièges à ma pauvre Madeleine pour le lui faire dire , tant j' aimais les bouillonnements de cette sensation .
Que vous dirai - je ? votre écriture avait un charme , je regardais vos lettres comme on contemple un portrait .
Si , dès ce premier jour , vous aviez déjà conquis sur moi je ne sais quel fatal pouvoir vous comprenez , mon ami , qu' il devint infini quand il me fut donné de lire dans votre âme . Quelles délices m' inondèrent en vous trouvant si pur , si complètement vrai , doué de qualités si belles , capable de si grandes choses , et déjà si éprouvé ! Homme et enfant , timide et courageux ! Quelle joie quand je nous trouvai sacrés tous deux par de communes souffrances ! Depuis cette soirée où nous nous confiâmes l' un à l' autre , vous perdre , pour moi c' était mourir : aussi vous ai - je laissé près de moi par égoïsme .
La certitude qu' eut M .
de La Berge de la mort que me causerait votre éloignement le toucha beaucoup , car il lisait dans mon âme .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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