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En effet , toute grande passion pèse si fortement sur notre caractère qu' elle en refoule d' abord les aspérités et comble la trace des habitudes qui constituent nos défauts ou nos qualités ; mais plus tard , chez deux amants bien accoutumés l' un à l' autre , les traits de la physionomie morale reparaissent ; tous deux se jugent alors mutuellement , et souvent il se déclare , durant cette réaction du caractère sur la passion , des antipathies qui préparent ces désunions dont s' arment les gens superficiels pour accuser le coeur humain d' instabilité .
Cette période commença donc . Moins aveuglé par les séductions , et détaillant pour ainsi dire mon plaisir , j' entrepris , sans le vouloir peut - être , un examen qui nuisit à lady Dudley .
Je lui trouvai d' abord en moins l' esprit qui distingue la Française entre toutes les femmes , et la rend la plus délicieuse à aimer , selon l' aveu des gens que les hasards de leur vie ont mis à même d' éprouver les manières d' aimer de chaque pays .
Quand une Française aime , elle se métamorphose ; sa coquetterie si vantée , elle l' emploie à parer son amour ; sa vanité si dangereuse , elle l' immole et met toutes ses prétentions à bien aimer .
Elle épouse les intérêts , les haines , les amitiés de son amant ; elle acquiert en un jour les subtilités expérimentées de l' homme d' affaires , elle étudie le code , elle comprend le mécanisme du crédit , et séduit la caisse d' un banquier ; étourdie et prodigue , elle ne fera pas une seule faute et ne gaspillera pas un seul louis ; elle devient à la fois mère , gouvernante , médecin , et donne à toutes ses transformations une grâce de bonheur qui révèle dans les plus légers détails un amour infini ; elle réunit les qualités spéciales qui recommandent les femmes de chaque pays en donnant à ce mélange de l' unité par l' esprit , cette semence française qui anime , permet , justifie , varie tout et détruit la monotonie d' un sentiment appuyé sur le premier temps d' un seul verbe .
La femme française aime toujours , sans relâche ni fatigue , à tout moment , en public et seule ; en public , elle trouve un accent qui ne résonne que dans une oreille , elle parle par son silence même , et sait vous regarder les yeux baissés ; si l' occasion lui interdit la parole et le regard , elle emploiera le sable sur lequel s' imprime son pied pour y écrire une pensée ; seule , elle exprime sa passion même pendant le sommeil ; enfin elle plie le monde à son amour .
Au contraire , l' Anglaise plie son amour au monde .
Habituée par son éducation à conserver cette habitude glaciale , ce maintien britannique si égoïste dont je vous ai parlé , elle ouvre et ferme son coeur avec la facilité d' une mécanique anglaise .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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