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- Henriette a peine à mourir , dit - elle en laissant échapper un pieux sourire . Mais , reprit - elle , elle périra dans le premier effort de la chrétienne humble , de la mère orgueilleuse , de la femme aux vertus chancelantes hier , raffermies aujourd' hui . Que vous dirai - je ? Hé bien , oui , ma vie est conforme à elle - même dans ses plus grandes circonstances comme dans ses plus petites .
Le coeur où je devais attacher les premières racines de la tendresse , le coeur de ma mère s' est fermé pour moi , malgré ma persistance à y chercher un pli où je pusse me glisser .
J' étais fille , je venais après trois garçons morts , et je tâchai vainement d' occuper leur place dans l' affection de mes parents ; je ne guérissais point la plaie faite à l' orgueil de la famille .
Quand , après cette sombre enfance , je connus mon adorable tante , la mort me l' enleva promptement . M . de Mortsauf , à qui je me suis vouée , m' a constamment frappée , sans relâche , sans le savoir , pauvre homme ! Son amour a le naïf égoïsme de celui que nous portent nos enfants .
Il n' est pas dans le secret des maux qu' il me cause , il est toujours pardonné ! Mes enfants , ces chers enfants qui tiennent à ma chair par toutes leurs douleurs , à mon âme par toutes leurs qualités , à ma nature par leurs joies innocentes ; ces enfants ne m' ont - ils pas été donnés pour montrer combien il se trouve de force et de patience dans le sein des mères ? Oh ! oui , mes enfants sont mes vertus ! Vous savez si je suis flagellée par eux , en eux , malgré eux .
Devenir mère , pour moi ce fut acheter le droit de toujours souffrir .
Quand Agar a crié dans le désert , un ange a fait jaillir pour cette esclave trop aimée une source pure ; mais à moi , quand la source limpide vers laquelle ( vous en souvenez - vous ? ) vous vouliez me guider est venue couler autour de Clochegourde , elle ne m' a versé que des eaux amères .
Oui , vous m' avez infligé des souffrances inouïes .
Dieu pardonnera sans doute à qui n' a connu l' affection que par la douleur .
Mais , si les plus vives peines que j' aie éprouvées m' ont été imposées par vous , peut - être les ai - je méritées .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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