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Au retour , les mêmes félicités , un regard , un serrement de main , étaient entremêlés d' inquiétudes . La parole , si libre pendant l' aller , avait au retour de mystérieuses significations , quand l' un de nous trouvait , après quelque intervalle , une réponse à des interrogations insidieuses , ou qu' une discussion commencée se continuait sous ces formes énigmatiques auxquelles se prête si bien notre langue et que créent si ingénieusement les femmes . Qui n' a goûté le plaisir de s' entendre ainsi comme dans une sphère inconnue où les esprits se séparent de la foule et s' unissent en trompant les lois vulgaires ? Un jour j' eus un fol espoir promptement dissipé quand , à une demande du comte , qui voulait savoir de quoi nous parlions , Henriette répondit par une phrase à double sens dont il se paya .
Cette innocente raillerie amusa Madeleine et fit après coup rougir sa mère , qui m' apprit par un regard sévère qu' elle pouvait me retirer son âme comme elle m' avait naguère retiré sa main , voulant demeurer une irréprochable épouse .
Mais cette union purement spirituelle a tant d' attraits que le lendemain nous recommençâmes .
Les heures , les journées , les semaines , s' enfuyaient ainsi pleines de félicités renaissantes . Nous arrivâmes à l' époque des vendanges , qui sont en Touraine de véritables fêtes . Vers la fin du mois de septembre , le soleil , moins chaud que durant la moisson , permet de demeurer aux champs sans avoir à craindre ni le hâle ni la fatigue .
Il est plus facile de cueillir les grappes que de scier les blés . Les fruits sont tous mûrs .
La moisson est faite , le pain devient moins cher , et cette abondance rend la vie heureuse . Enfin les craintes qu' inspirait le résultat des travaux champêtres où s' enfouit autant d' argent que de sueurs , ont disparu devant la grange pleine et les celliers prêts à s' emplir .
La vendange est alors comme le joyeux dessert du festin récolté , le ciel y sourit toujours en Touraine , où les automnes sont magnifiques .
Dans ce pays hospitalier , les vendangeurs sont nourris au logis . Ces repas étant les seuls où ces pauvres gens aient , chaque année , des aliments substantiels et bien préparés , ils y tiennent comme dans les familles patriarcales les enfants tiennent aux galas des anniversaires .
Aussi courent - ils en foule dans les maisons , où les maîtres les traitent sans lésinerie .
La maison est donc pleine de monde et de provisions . Les pressoirs sont constamment ouverts . Il semble que tout soit animé par ce mouvement d' ouvriers tonneliers , de charrettes chargées de filles rieuses , de gens qui , touchant des salaires meilleurs que pendant le reste de l' année , chantent à tous propos .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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