----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Mme de Mortsauf n' était plus qu' Henriette à leur aspect . Elle y revenait sans cesse , elle s' en nourrissait , elle y reprenait toutes les pensées que j' y avais mises , quand pour les recevoir elle relevait la tête de dessus son métier à tapisserie en disant : " Mon Dieu , que cela est beau ! " Vous comprendrez cette délicieuse correspondance par le détail d' un bouquet , comme d' après un fragment de poésie vous comprendriez Saadi .
Avez - vous senti dans les prairies , au mois de mai , ce parfum qui communique à tous les êtres l' ivresse de la fécondation , qui fait qu' en bateau vous trempez vos mains dans l' onde , que vous livrez au vent votre chevelure , et que vos pensées reverdissent comme les touffes forestières ? Une petite herbe , la flouve odorante , est un des plus puissants principes de cette harmonie voilée .
Aussi personne ne peut - il la garder impunément près de soi .
Mettez dans un bouquet ses lames luisantes et rayées comme une robe à filets blancs et verts , d' inépuisables exhalations remueront au fond de votre coeur les roses en bouton que la pudeur y écrase .
Autour du col évasé de la porcelaine , supposez une forte marge uniquement composée des touffes blanches particulières au sédum des vignes en Touraine ; vague image des formes souhaitées , roulées comme celles d' une esclave soumise .
De cette assise sortent les spirales des liserons à cloches blanches , les brindilles de la bugrane rose , mêlées de quelques fougères , de quelques jeunes pousses de chêne aux feuilles magnifiquement colorées et lustrées ; toutes s' avancent prosternées , humbles comme des saules pleureurs , timides et suppliantes comme des prières .
Au - dessus , voyez les fibrilles déliées , fleuries , sans cesse agitées de l' amourette purpurine qui verse à flots ses anthères presque jaunes , les pyramides neigeuses du paturin des champs et des eaux , la verte chevelure des bromes stériles , les panaches effilés de ces agrostis nommés les épis du vent ; violâtres espérances dont se couronnent les premiers rêves et qui se détachent sur le fond gris de lin où la lumière rayonne autour de ces herbes en fleurs .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
Page:1056