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Quoique complètement neuf à la poésie des sites , j' étais donc exigeant à mon insu , comme ceux qui sans avoir la pratique d' un art en imaginent tout d' abord l' idéal . Pour aller au château de Frapesle , les gens à pied ou à cheval abrègent la route en passant par les landes dites de Charlemagne , terres en friche , situées au sommet du plateau qui sépare le bassin du Cher et celui de l' Indre , et où mène un chemin de traverse que l' on prend à Champy . Ces landes plates et sablonneuses , qui vous attristent durant une lieue environ , joignent par un bouquet de bois le chemin de Saché , nom de la commune d' où dépend Frapesle .
Ce chemin , qui débouche sur la route de Chinon , bien au - delà de Ballan , longe une plaine ondulée sans accidents remarquables , jusqu' au petit pays d' Artanne .
Là se découvre une vallée qui commence à Montbazon , finit à la Loire , et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d' émeraude au fond de laquelle l' Indre se roule par des mouvements de serpent .
à cet aspect , je fus saisi d' un étonnement voluptueux que l' ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé . " Si cette femme , la fleur de son sexe , habite un lieu dans le monde , ce lieu , le voici ! " A cette pensée je m' appuyai contre un noyer sous lequel , depuis ce jour , je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chère vallée .
Sous cet arbre confident de mes pensées , je m' interroge sur les changements que j' ai subis pendant le temps qui s' est écoulé depuis le dernier jour où j' en suis parti .
Elle demeurait là , mon coeur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d' une lande était son habitation .
Quand je m' assis sous mon noyer , le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenêtres .
Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes sous un hallebergier . Elle était , comme vous le savez déjà , sans rien savoir encore , LE LYS DE CETTE VALLÉE où elle croissait pour le ciel , en la remplissant du parfum de ses vertus .
L' amour infini , sans autre aliment qu' un objet à peine entrevu dont mon âme était remplie , je le trouvais exprimé par ce long ruban d' eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes , par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d' amour , par les bois de chênes qui s' avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment , et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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