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La première fois que , dupe d' un sentiment généreux , j' avançai la main pour accepter la friandise tant souhaitée qui me fut offerte d' un air hypocrite , mon mystificateur retira sa tartine aux rires des camarades prévenus de ce dénouement . Si les esprits les plus distingués sont accessibles à la vanité , comment ne pas absoudre l' enfant qui pleure de se voir méprisé , goguenardé ? à ce jeu , combien d' enfants seraient devenus gourmands , quêteurs , lâches ! Pour éviter les persécutions , je me battis .
Le courage du désespoir me rendit redoutable , mais je fus un objet de haine , et restai sans ressources contre les traîtrises .
Un soir en sortant , je reçus dans le dos un coup de mouchoir roulé , plein de cailloux . Quand le valet de chambre , qui me vengea rudement , apprit cet événement à ma mère , elle s' écria : " Ce maudit enfant ne nous donnera que des chagrins ! " J' entrai dans une horrible défiance de moi - même , en trouvant là les répulsions que j' inspirais en famille .
Là , comme à la maison , je me repliai sur moi - même .
Une seconde tombée de neige retarda la floraison des germes semés en mon âme . Ceux que je voyais aimés étaient de francs polissons , ma fierté s' appuya sur cette observation , je demeurai seul .
Ainsi se continua l' impossibilité d' épancher les sentiments dont mon pauvre coeur était gros . En me voyant toujours assombri , haï , solitaire , le maître confirma les soupçons erronés que ma famille avait de ma mauvaise nature .
Dès que je sus écrire et lire , ma mère me fit exporter à Pont - le - Voy , collège dirigé par des Oratoriens qui recevaient les enfants de mon âge dans une classe nommée la classe des Pas latins , où restaient aussi les écoliers de qui l' intelligence tardive se refusait au rudiment .
Je demeurai là huit ans sans voir personne , et menant une vie de paria . Voici comment et pourquoi .
Je n' avais que trois francs par mois pour mes menus plaisirs , somme qui suffisait à peine aux plumes , canifs , règles , encre et papier dont il fallait nous pourvoir . Ainsi , ne pouvant acheter ni les échasses , ni les cordes , ni aucune des choses nécessaires aux amusements du collège , j' étais banni des jeux , pour y être admis , j' aurais dû flagorner les riches ou flatter les forts de ma division .
La moindre de ces lâchetés , que se permettent si facilement les enfants , me faisait bondir le coeur .
Je séjournais sous un arbre , perdu dans de plaintives rêveries , je lisais là les livres que nous distribuait mensuellement le bibliothécaire .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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