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Seulement , sache - le bien , Natalie : en t' obéissant , j' ai dû fouler aux pieds des répugnances inviolées . Mais pourquoi suspecter les soudaines et longues rêveries qui me saisissent parfois en plein bonheur ? pourquoi ta jolie colère de femme aimée , à propos d' un silence ? Ne pouvais - tu jouer avec les contrastes de mon caractère sans en demander les causes ? As - tu dans le coeur des secrets qui , pour se faire absoudre , aient besoin des miens ? Enfin , tu l' as deviné , Natalie , et peut - être vaut - il mieux que tu saches tout : oui , ma vie est dominée par un fantôme , il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque , il s' agite souvent de lui - même au - dessus de moi . J' ai d' imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme comme ces productions marines qui s' aperçoivent par les temps calmes , et que les flots de la tempête jettent par fragments sur la grève .
Quoique le travail que nécessitent les idées pour être exprimées ait contenu ces anciennes émotions qui me font tant de mal quand elles se réveillent trop soudainement , s' il y avait dans cette confession des éclats qui te blessassent , souviens - toi que tu m' as menacé si je ne t' obéissais pas , ne me punis donc point de t' avoir obéi .
Je voudrais que ma confidence redoublât ta tendresse .
à ce soir .
" FÉLIX . "
à quel talent nourri de larmes devrons - nous un jour la plus émouvante élégie , la peinture des tourments subis en silence par les âmes dont les racines tendres encore ne rencontrent que de durs cailloux dans le sol domestique , dont les premières frondaisons sont déchirées par des mains haineuses , dont les fleurs sont atteintes par la gelée au moment où elles s' ouvrent ? Quel poète nous dira les douleurs de l' enfant dont les lèvres sucent un sein amer , et dont les sourires sont réprimés par le feu dévorant d' un oeil sévère ? La fiction qui représenterait ces pauvres coeurs opprimés par les êtres placés autour d' eux pour favoriser les développements de leur sensibilité , serait la véritable histoire de ma jeunesse .
Quelle vanité pouvais - je blesser , moi nouveau - né ? quelle disgrâce physique ou morale me valait la froideur de ma mère ? étais - je donc l' enfant du devoir , celui dont la naissance est fortuite , ou celui dont la vie est un reproche ? Mis en nourrice à la campagne , oublié par ma famille pendant trois ans , quand je revins à la maison paternelle , j' y comptai pour si peu de chose que j' y subissais la compassion des gens .
Je ne connais ni le sentiment , ni l' heureux hasard à l' aide desquels j' ai pu me relever de cette première déchéance : chez moi l' enfant ignore , et l' homme ne sait rien .
Loin d' adoucir mon sort , mon frère et mes deux soeurs s' amusèrent à me faire souffrir .

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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