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Ne soyez sévère que pour vous - même . Votre fortune est devant vous , mais personne en ce monde ne peut faire la sienne sans aide ; pratiquez donc la maison de mon père , l' entrée vous en est acquise , les relations que vous vous y créerez vous serviront en mille occasions ; mais n' y cédez pas un pouce de terrain à ma mère , elle écrase celui qui s' abandonne et admire la fierté de celui qui lui résiste ; elle ressemble au fer qui , battu , peut se joindre au fer , mais qui brise par son contact tout ce qui n' a pas sa dureté .
Cultivez donc ma mère ; si elle vous veut du bien , elle vous introduira dans les salons où vous acquerrez cette fatale science du monde , l' art d' écouter , de parler , de répondre , de vous présenter , de sortir ; le langage précis , ce je ne sais quoi qui n' est pas plus la supériorité que l' habit ne constitue le génie , mais sans lequel le plus beau talent ne sera jamais admis .
Je vous connais assez pour être sûre de ne me faire aucune illusion en vous voyant par avance comme le souhaite que vous soyez : simple dans vos manières , doux de ton , fier sans fatuité , respectueux près des vieillards , prévenant sans servilité , discret surtout .
Déployez votre esprit , mais ne servez pas d' amusement aux autres ; car sachez bien que si votre supériorité froisse un homme médiocre , il se taira , puis il dira de vous : " Il est très amusant ! " terme de mépris .
Que votre supériorité soit toujours léonine .
Ne cherchez pas d' ailleurs à complaire aux hommes .
Dans vos relations avec eux , je vous recommande une froideur qui puisse arriver jusqu' à cette impertinence dont ils ne peuvent se fâcher ; tous respectent celui qui les dédaigne , et ce dédain vous conciliera la faveur de toutes les femmes qui vous estimeront en raison du peu de cas que vous ferez des hommes .
Ne souffrez jamais près de vous des gens déconsidérés , quand même ils ne mériteraient pas leur réputation , car le monde nous demande également compte de nos amitiés et de nos haines ; à cet égard , que vos jugements soient longtemps et mûrement pesés , mais qu' ils soient irrévocables .
Quand les hommes repoussés par vous auront justifié votre répulsion , votre estime sera recherchée ; ainsi vous inspirerez ce respect tacite qui grandit un homme parmi les hommes .
Vous voilà donc armé de la jeunesse qui plaît , de la grâce qui séduit , de la sagesse qui conserve les conquêtes .
Tout ce que je viens de vous dire peut se résumer par un vieux mot : noblesse oblige !

LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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