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En se mariant , elle possédait ses épargnes , ce peu d' or qui représente les heures joyeuses , les mille désirs du jeune âge ; en un jour de détresse , elle l' avait généreusement donné sans dire que c' était des souvenirs et non des pièces d' or ; jamais son mari ne lui en avait tenu compte , il ne se savait pas son débiteur ! En échange de ce trésor englouti dans les eaux dormantes de l' oubli , elle n' avait pas obtenu ce regard mouillé qui solde tout , qui pour les âmes généreuses est comme un éternel joyau dont les feux brillent aux jours difficiles .
Comme elle avait marché de douleur en douleur ! M .
de Mortsauf oubliait de lui donner l' argent nécessaire à la maison ; il se réveillait d' un rêve quand , après avoir vaincu toutes ses timidités de femme , elle lui en demandait ; et jamais il ne lui avait une seule fois évité ces cruels serrements de coeur ! Quelle terreur vint la saisir au moment où la nature maladive de cet homme ruiné s' était dévoilée ! elle avait été brisée par le premier éclat de ses folles colères .
Par combien de réflexions dures n' avait - elle point passé avant de regarder comme nul son mari , cette imposante figure qui domine l' existence d' une femme ! De quelles horribles calamités furent suivies ses deux couches ! Quel saisissement à l' aspect de deux enfants mort - nés ? Quel courage pour se dire : " Je leur soufflerai la vie ! je les enfanterai de nouveau tous les jours " ? Puis quel désespoir de sentir un obstacle dans le coeur et dans la main d' où les femmes tirent leurs secours ! Elle avait vu cet immense malheur déroulant ses savanes épineuses à chaque difficulté vaincue .
à la montée de chaque rocher , elle avait aperçu de nouveaux déserts à franchir , jusqu' au jour où elle eut bien connu son mari , l' organisation de ses enfants , et le pays où elle devait vivre ; jusqu' au jour où , comme l' enfant arraché par Napoléon aux tendres soins du logis , elle eut habitué ses pieds à marcher dans la boue et dans la neige , accoutumé son front aux boulets , toute sa personne à la passive obéissance du soldat .
Ces choses que je vous résume elle me les dit alors dans leur ténébreuse étendue , avec leur cortège de faits désolants , de batailles conjugales perdues , d' essais infructueux .
LYS DANS LA VALLEE (IX, campagn)
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