----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----
Il était si peu question de moi que souvent la gouvernante oubliait       de me faire coucher . Un soir , tranquillement blotti sous un figuier , je regardais une étoile avec cette passion curieuse qui saisit les enfants , et à laquelle ma précoce mélancolie ajoutait une sorte d' intelligence sentimentale . 
Mes soeurs s' amusaient et criaient , j' entendais leur lointain tapage comme un accompagnement à mes idées . Le bruit cessa , la nuit vint . Par hasard , ma mère s' aperçut de mon absence . 
Pour éviter un reproche , notre gouvernante , une terrible mademoiselle Caroline , légitima les fausses appréhensions de ma mère en prétendant que j' avais la maison en horreur ; que si elle n' eût pas attentivement veillé sur moi , je me serais enfui déjà ; je n' étais pas imbécile , mais sournois ; parmi tous les enfants commis à ses soins , elle n' en avait jamais rencontré dont les dispositions fussent aussi mauvaises que les miennes . 
Elle feignit de me chercher et m' appela , je répondis ; elle vint au figuier où elle savait que j' étais . 
 " Que faisiez - vous donc là ? me dit - elle . - Je regardais une étoile . 
 - Vous ne regardiez pas une étoile , dit ma mère qui nous écoutait du haut de son balcon , connaît - on l' astronomie à votre âge ?  - Ah ! madame , s' écria Mlle Caroline , il a lâché le robinet du réservoir , le jardin est inondé . 
 " Ce fut une rumeur générale . Mes soeurs s' étaient amusées à tourner ce robinet pour voir couler l' eau ; mais , surprises par l' écartement d' une gerbe qui les avait arrosées de toutes parts , elles avaient perdu la tête et s' étaient enfuies sans avoir pu fermer le robinet . 
Atteint et convaincu d' avoir imaginé cette espièglerie , accusé de mensonge quand j' affirmais mon innocence , je fus sévèrement puni . 
Mais , châtiment horrible ! je fus persiflé sur mon amour pour les étoiles , et ma mère me défendit de rester au jardin le soir . Les défenses tyranniques aiguisent encore plus une passion chez les enfants que chez les hommes ; les enfants ont sur eux l' avantage de ne penser qu' à la chose défendue , qui leur offre alors des attraits irrésistibles . 
J' eus donc souvent le fouet pour mon étoile . 
Ne pouvant me confier à personne , je lui disais mes chagrins dans ce délicieux ramage intérieur par lequel un enfant bégaie ses premières idées , comme naguère il a bégayé ses premières paroles . 
à l' âge de douze ans , au collège , je la contemplais encore en éprouvant d' indicibles délices , tant les impressions reçues au matin de la vie laissent de profondes traces au coeur .  
LYS DANS LA VALLEE   (IX, campagn)
 Page: 972