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Mais , maintenant , je voudrais mettre mon coeur à nu , te dire toute l' ardeur de mes rêves , te dévoiler la bouillante ambition de mes sens irrités par la solitude où j' ai vécu , toujours enflammés par l' attente du bonheur , et réveillés par toi , par toi si douce de formes , si attrayante en tes manières ! Mais est - il possible d' exprimer combien je suis altéré de ces félicités inconnues que donne la possession d' une femme aimée , et auxquelles deux âmes étroitement unies par l' amour doivent prêter une force de cohésion effrénée ! Sache - le , ma Pauline , je suis resté pendant des heures entières dans une stupeur causée par la violence de mes souhaits passionnés , restant perdu dans le sentiment d' une caresse comme dans un gouffre sans fond . En ces moments , ma vie entière , mes pensées , mes forces , se fondent , s' unissent dans ce que je nomme un désir , faute de mots pour exprimer un délire sans nom ! Et maintenant , je puis t' avouer que le jour où j' ai refusé la main que tu me tendais par un si joli mouvement , triste sagesse qui t' a fait douter de mon amour , j' étais dans un de ces moments de folie où l' on médite un meurtre pour posséder une femme .
Oui , si j' avais senti la délicieuse pression que tu m' offrais , aussi vivement que ta voix retentissait dans mon coeur , je ne sais où m' aurait conduit la violence de mes désirs .
Mais je puis me taire et souffrir beaucoup .
Pourquoi parler de ces douleurs quand mes contemplations vont devenir des réalités ? Il me sera donc maintenant permis de faire de toute notre vie une seule caresse ! Chérie aimée , il se rencontre tel effet de lumière sur tes cheveux noirs qui me ferait rester , les larmes dans les yeux , pendant de longues heures occupé à voir ta chère personne , si tu ne me disais pas en te retournant : " Finis , tu me rends honteuse .
" Demain , notre amour se saura donc ! Ah ! Pauline , ces regards des autres à supporter , cette curiosité publique me serre le coeur .
Allons à Villenoix , restons - y loin de tout .
Je voudrais qu' aucune créature ayant face humaine n' entrât dans le sanctuaire où tu seras à moi ; je voudrais même qu' après nous il n' existât plus , qu' il fût détruit .
Oui , je voudrais dérober à la nature entière un bonheur que nous sommes seuls à comprendre , seuls à sentir , et qui est tellement immense que je m' y jette pour y mourir : c' est un abîme .
Ne t' effraie pas des larmes qui ont mouillé cette lettre , c' est des larmes de joie . Mon seul bonheur , nous ne nous quitterons donc plus ! "
En 1823 , j' allais de Paris en Touraine par la diligence . à Mer , le conducteur prit un voyageur pour Blois . En le faisant entrer dans la partie de la voiture où je me trouvais , il lui dit en plaisantant : " Vous ne serez pas gêné là , monsieur Lefebvre ! " En effet , j' étais seul .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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