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Je nous vois tous deux unis , marchant du même pas , vivant de la même pensée ; toujours au coeur l' un de l' autre , nous comprenant , nous entendant comme l' écho reçoit et redit les sons à travers les espaces ! Peut - on vivre longtemps en dévorant ainsi sa vie à toute heure ? Ne mourrons - nous pas dans le premier embrassement ? Et que sera - ce donc , si déjà nos âmes se confondaient dans ce doux baiser du soir , qui nous enlevait nos forces ; ce baiser sans durée , dénouement de tous mes désirs , interprète impuissant de tant de prières échappées à mon âme pendant nos heures de séparation , et cachées au fond de mon coeur comme des remords ? Moi , qui revenais me coucher dans la haie pour entendre le bruit de tes pas quand tu retournais au château , je vais donc pouvoir t' admirer à mon aise , agissant , riant , jouant , causant , allant .
Joies sans fin ! Tu ne sais pas tout ce que je sens de jouissances à te voir allant et venant : il faut être homme pour éprouver ces sensations profondes .
Chacun de tes mouvements me donne plus de plaisir que n' en peut prendre une mère à voir son enfant joyeux ou endormi .
Je t' aime de tous les amours ensemble .
La grâce de ton moindre geste est toujours nouvelle pour moi . Il me semble que je passerais les nuits à respirer ton souffle , je voudrais me glisser dans tous les actes de ta vie , être la substance même de tes pensées , je voudrais être toi - même .
Enfin , je ne te quitterai donc plus ! Aucun sentiment humain ne troublera plus notre amour , infini dans ses transformations et pur comme tout ce qui est un , notre amour vaste comme la mer , vaste comme le ciel ! Tu est à moi ! toute à moi ! Je pourrai donc regarder au fond de tes yeux pour y deviner la chère âme qui s' y cache et s' y révèle tour à tour , pour y épier tes désirs ! Ma bien - aimée , écoute certaines choses que je n' osais te dire encore , mais que je puis t' avouer aujourd' hui .
Je sentais en moi je ne sais quelle pudeur d' âme qui s' opposait à l' entière expression de mes sentiments , et je tâchais de les revêtir des formes de la pensée .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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