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" FRAGMENT
" Un attachement si complet est - il un bonheur ? Oui , car des années de souffrance ne paieraient pas une heure d' amour . Hier , ton apparente tristesse a passé dans mon âme avec la rapidité d' une ombre qui se projette .
Étais - tu triste ou souffrais - tu ? J' ai souffert . D' où venait ce chagrin ? Écris - moi vite . Pourquoi ne l' ai - je pas deviné ? Nous ne sommes donc pas encore complètement unis par la pensée ? Je devrais , à deux lieues de toi comme à mille , ressentir tes peines et tes douleurs .
Je ne croirai pas t' aimer tant que ma vie ne sera pas assez intimement liée à la tienne pour que nous ayons la même vie , le même coeur , la même idée .
Je dois être où tu es , voir ce que tu vois , ressentir ce que tu ressens , et te suivre par la pensée . N' ai - je pas déjà su , le premier , que ta voiture avait versé , que tu étais meurtrie ? Mais aussi ce jour - là ne t' avais - je pas quittée , je te voyais .
Quand mon oncle m' a demandé pourquoi je pâlissais , je lui ai dit : " Mlle de Villenoix vient de tomber ! " Pourquoi donc n' ai - je pas lu dans ton âme , hier ? Voulais - tu me cacher la cause de ce chagrin ? Cependant j' ai cru deviner que tu avais fait en ma faveur quelques efforts malheureux auprès de ce redoutable Salomon qui me glace .
Cet homme n' est pas de notre ciel .
Pourquoi veux - tu que notre bonheur , qui ne ressemble en rien à celui des autres , se conforme aux lois du monde ? Mais j' aime trop tes mille pudeurs , ta religion , tes superstitions , pour ne pas obéir à tes moindres caprices .
Ce que tu fais doit être bien ; rien n' est plus pur que ta pensée , comme rien n' est plus beau que ton visage où se réfléchit ton âme divine .
J' attendrai ta lettre avant d' aller par les chemins chercher le doux moment que tu m' accordes . Ah ! si tu savais combien l' aspect des tourelles me fait palpiter , quand enfin je les vois bordées de lueur par la lune , notre amie , notre seule confidente .
"
IV

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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