----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Jamais une femme ne m' a versé le baume de ses consolations , et j' ignore si , lorsqu' en ces moments de lassitude , l' amour agitera ses ailes au - dessus de ma tête , il ne répandra pas dans mon coeur de nouvelles forces . Peut - être ces cruelles mélancolies sont - elles un fruit de ma solitude , une des souffrances de l' âme abandonnée qui gémit et paie ses trésors par des douleurs inconnues . Aux légers plaisirs , les légères souffrances ; aux immenses bonheurs , des maux inouïs .
Quel arrêt ! S' il était vrai , ne devons - nous pas frissonner pour nous , qui sommes surhumainement heureux . Si la nature nous vend les choses selon leur valeur , dans quel abîme allons - nous donc tomber ? Ah ! les amants les plus richement partagés sont ceux qui meurent ensemble au milieu de leur jeunesse et de leur amour ! Quelle tristesse ! Mon âme pressent - elle un méchant avenir ? Je m' examine , et me demande s' il se trouve quelque chose en moi qui doive t' apporter le plus léger souci ? Je t' aime peut - être en égoïste ? Je mettrai peut - être sur ta chère tête un fardeau plus pesant que ma tendresse ne sera douce à ton coeur .
S' il existe en moi quelque puissance inexorable à laquelle j' obéis , si je dois maudire quand tu joindras les mains pour prier , si quelque triste pensée me domine lorsque je voudrai me mettre à tes pieds pour jouer avec toi comme un enfant , ne seras - tu pas jalouse de cet exigeant et fantasque génie ? Comprends - tu bien , coeur à moi , que j' ai peur de n' être pas tout à toi , que j' abdiquerais volontiers tous les sceptres , toutes les palmes du monde pour faire de toi mon éternelle pensée ; pour voir , dans notre délicieux amour , une belle vie et un beau poème ; pour y jeter mon âme , y engloutir mes forces , et demander à chaque heure les joies qu' elle nous doit ? Mais voilà que reviennent en foule mes souvenirs d' amour , les nuages de ma tristesse vont se dissiper .
Adieu .
Je te quitte pour être mieux à toi .
Mon âme chérie , j' attends un mot , une parole qui me rende la paix du coeur .
Que je sache si j' ai contristé ma Pauline , ou si quelque douteuse expression de ton visage m' a trompé .
Je ne voudrais pas avoir à me reprocher , après toute une vie heureuse , d' être venu vers toi sans un sourire plein d' amour , sans une parole de miel .
Affliger la femme que l' on aime ! pour moi , Pauline , c' est un crime .
Dis - moi la vérité , ne me fais pas quelque généreux mensonge , mais désarme ton pardon de toute cruauté .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
Page: 668