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Ne voulant vous devoir qu' à vous - même , je dois éviter de me présenter accompagné de tous les prestiges du malheur : ne sont - ils pas plus actifs que ceux de la fortune sur de nobles âmes ? Je vous tairai donc bien des choses . Oui , j' ai une idée trop belle de l' amour pour le corrompre par des pensées étrangères à sa nature . Si mon âme est digne de la vôtre , si ma vie est pure , votre coeur en aura quelque généreux pressentiment , et vous me comprendrez ! Il est dans la destinée de l' homme de s' offrir à celle qui le fait croire au bonheur ; mais votre droit est de refuser le sentiment le plus vrai , s' il ne s' accorde pas avec les voix confuses de votre coeur : je le sais .
Si le sort que vous me ferez doit être contraire à mes espérances , mademoiselle , j' invoque les délicatesses de votre âme vierge , aussi bien que l' ingénieuse pitié de la femme .
Ah ! je vous en supplie à genoux , brûlez ma lettre , oubliez tout .
Ne plaisantez pas d' un sentiment respectueux et trop profondément empreint dans l' âme pour pouvoir s' en effacer .
Brisez mon coeur , mais ne le déchirez pas ! Que l' expression de mon premier amour , d' un amour jeune et pur , n' ait retenti que dans un coeur jeune et pur ! qu' il y meure comme une prière va se perdre dans le sein de Dieu ! Je vous dois de la reconnaissance : j' ai passé des heures délicieuses occupé à vous voir en m' abandonnant aux rêveries les plus douces de ma vie ; ne couronnez donc pas cette longue et passagère félicité par quelque moquerie de jeune fille .
Contentez - vous de ne pas me répondre .
Je saurai bien interpréter votre silence , et vous ne me verrez plus .
Si je dois être condamné à toujours comprendre le bonheur et à le perdre toujours , si je suis comme l' ange exilé , conservant le sentiment des délices célestes , mais sans cesse attaché dans un monde de douleur ; eh bien , je garderai le secret de mon amour , comme celui de mes misères .
Et , adieu ! Oui , je vous confie à Dieu , que j' implorerai pour vous , à qui je demanderai de vous faire une belle vie ; car , fussé - je chassé de votre coeur , où je suis entré furtivement à votre insu , je ne vous quitterai jamais .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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