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" Mademoiselle , quand vous aurez lu cette lettre , si toutefois vous la lisez , ma vie sera entre vos mains , car je vous aime ; et , pour moi , espérer d' être aimé , c' est la vie . Je ne sais si d' autres n' ont point , en vous parlant d' eux , abusé déjà des mots que j' emploie ici pour vous peindre l' état de mon âme ; croyez cependant à la vérité de mes expressions , elles sont faibles mais sincères . Peut - être es t - ce mal d' avouer ainsi son amour ? Oui , la voix de mon coeur me conseillait d' attendre en silence que ma passion vous eût touchée , afin de la dévorer , si ses muets témoignages vous déplaisaient ; ou pour l' exprimer plus chastement encore que par des paroles , si je trouvais grâce à vos yeux .
Mais après avoir longtemps écouté les délicatesses desquelles s' effraie un jeune coeur , j' ai obéi , en vous écrivant , à l' instinct qui arrache des cris inutiles aux mourants .
J' ai eu besoin de tout mon courage pour imposer silence à la fierté du malheur et pour franchir les barrières que les préjugés mettent entre vous et moi .
J' ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune ! Pour vous écrire , ne fallait - il pas affronter ce mépris que les femmes réservent souvent à des amours dont l' aveu ne s' accepte que comme une flatterie de plus .
Aussi faut - il s' élancer de toutes ses forces vers le bonheur , être attiré vers la vie de l' amour comme l' est une plante vers la lumière , avoir été bien malheureux pour vaincre les tortures , les angoisses de ces délibérations secrètes où la raison nous démontre de mille manières la stérilité des voeux cachés au fond du coeur , et où cependant l' espérance nous fait tout braver .
J' étais si heureux de vous admirer en silence , j' étais si complètement abîmé dans la contemplation de votre belle âme , qu' en vous voyant je n' imaginais presque rien au - delà .
Non , je n' aurais pas encore osé vous parler , si je n' avais entendu annoncer votre départ .
à quel supplice un seul mot m' a livré ! Enfin mon chagrin m' a fait apprécier l' étendue de mon attachement pour vous , il est sans bornes .
Mademoiselle , vous ne connaîtrez jamais , du moins je désire que jamais vous n' éprouviez la douleur causée par la crainte de perdre le seul bonheur qui soit éclos pour nous sur cette terre , le seul qui nous ait jeté quelque lueur dans l' obscurité de la misère .
Hier , j' ai senti que ma vie n' était plus en moi , mais en vous .
Il n' est plus pour moi qu' une femme dans le monde , comme il n' est plus qu' une seule pensée dans mon âme . Je n' ose vous dire à quelle alternative me réduit l' amour que j' ai pour vous .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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