----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Sa théocratie est sublime , et sa religion est la seule que puisse admettre un esprit supérieur . Lui seul fait toucher à Dieu , il en donne soif , il a dégagé la majesté de Dieu des langes dans lesquels l' ont entortillée les autres cultes humains ; il l' a laissé là où il est , en faisant graviter autour de lui ses créations innombrables et ses créatures par des transformations successives qui sont un avenir plus immédiat , plus naturel que ne l' est l' éternité catholique .
Il a lavé Dieu du reproche que lui font les âmes tendres sur la pérennité des vengeances par lesquelles il punit les fautes d' un instant , système sans justice ni bonté .
Chaque homme peut savoir s' il lui est réservé d' entrer dans une autre vie , et si ce monde a un sens .
Cette expérience , je vais la tenter . Cette tentative peut sauver le monde , aussi bien que la croix de Jérusalem et le sabre de La Mecque .
L' une et l' autre sont fils du désert . Des trente - trois années de Jésus , il n' en est que neuf de connues ; sa vie silencieuse a préparé sa vie glorieuse .
à moi aussi , il me faut le désert ! "
Malgré les difficultés de l' entreprise , j' ai cru devoir essayer de peindre la jeunesse de Lambert , cette vie cachée à laquelle je suis redevable des seules bonnes heures et des seuls souvenirs agréables de mon enfance .
Hormis ces deux années , je n' ai eu que troubles et ennuis . Si plus tard le bonheur est venu , mon bonheur fut toujours incomplet . J' ai été très diffus , sans doute ; mais faute de pénétrer dans l' étendue du coeur et du cerveau de Lambert , deux mots qui représentent imparfaitement les modes infinis de sa vie intérieure , il serait presque impossible de comprendre la seconde partie de son histoire intellectuelle , également inconnue et au monde et à moi , mais dont l' occulte dénouement s' est développé devant moi pendant quelques heures .
Ceux auxquels ce livre ne sera pas encore tombé des mains comprendront , je l' espère , les événements qui me restent à raconter , et qui forment en quelque sorte une seconde existence à cette créature ; pourquoi ne dirais - je pas à cette création en qui tout devait être extraordinaire , même sa fin ?

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
Page: 657