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A mon arrivée , je suis allé entendre un vieil académicien qui disait à cinq cents jeunes gens que Corneille est un génie vigoureux et fier , Racine élégiaque et tendre , Molière inimitable , Voltaire éminemment spirituel , Bossuet et Pascal désespérément forts . Un professeur de philosophie devient illustre , en expliquant comment Platon est Platon .
Un autre fait l' histoire des mots sans penser aux idées . Celui - ci vous explique Eschyle , celui - là prouve assez victorieusement que les Communes étaient les Communes et pas autre chose .
Ces aperçus nouveaux et lumineux , paraphrasés pendant quelques heures , constituent le haut enseignement qui doit faire faire des pas de géant aux connaissances humaines .
Si le gouvernement avait une pensée , je le soupçonnerais d' avoir peur des supériorités réelles qui , réveillées , mettraient la société sous le joug d' un pouvoir intelligent .
Les nations iraient trop loin trop tôt , les professeurs sont alors chargés de faire des sots . Comment expliquer autrement un professorat sans méthode , sans une idée d' avenir ? L' institut pouvait être le grand gouvernement du monde moral et intellectuel ; mais il a été récemment brisé par sa constitution en académies séparées .
La science humaine marche donc sans guide , sans système et flotte au hasard , sans s' être tracé de route .
Ce laisser - aller , cette incertitude existe en politique comme en science . Dans l' ordre naturel , les moyens sont simples , la fin est grande et merveilleuse ; ici , dans la science comme dans le gouvernement , les moyens sont immenses , la fin est petite .
Cette force qui , dans la Nature , marche d' un pas égal et dont la somme s' ajoute perpétuellement à elle - même , cet à + à qui produit tout , est destructif dans la Société .
La politique actuelle oppose les unes aux autres les forces humaines pour les neutraliser , au lieu de les combiner pour les faire agir dans un but quelconque .
En s' en tenant à l' Europe , depuis César jusqu' à Constantin , du petit Constantin au grand Attila , des Huns à Charlemagne , de Charlemagne à Léon X , de Léon X à Philippe II , de Philippe II à Louis XIV , de Venise à l' Angleterre , de l' Angleterre à Napoléon , de Napoléon à l' Angleterre , je ne vois aucune fixité dans la politique , et son agitation constante n' a procuré nul progrès .
Les nations témoignent de leur grandeur par des monuments , ou de leur bonheur par le bien - être individuel .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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