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" Te reverrai - je jamais ? " me dit - il de sa voix douce en me serrant dans ses bras . " Tu vivras , toi , reprit - il ; mais moi , je mourrai . Si je le peux , je t' apparaîtrai . "
Il faut être jeune pour prononcer de telles paroles avec un accent de conviction qui les fait accepter comme un présage , comme une promesse dont l' effroyable accomplissement sera redouté . Pendant longtemps , j' ai pensé vaguement à cette apparition promise .
Il est encore certains jours de spleen , de doute , de terreur , de solitude , où je suis obligé de chasser les souvenirs de cet adieu mélancolique , qui cependant ne devait pas être le dernier .
Lorsque je traversai la cour par laquelle nous sortions , Lambert était collé à l' une des fenêtres grillées du réfectoire pour me voir passer . Sur mon désir , ma mère obtint la permission de le faire dîner avec nous à l' auberge .
à mon tour , le soir , je le ramenai au seuil fatal du collège . Jamais amant et maîtresse ne versèrent en se séparant plus de larmes que nous n' en répandîmes .
" Adieu donc ! je vais être seul dans ce désert , me dit - il en me montrant les cours où deux cents enfants jouaient et criaient . Quand je reviendrai fatigué , demi - mort de mes longues courses à travers les champs de la pensée , dans quel coeur me reposerai - je ? Un regard me suffisait pour te dire tout .
Qui donc maintenant me comprendra ? Adieu ! je voudrais ne t' avoir jamais rencontré , je ne saurais pas tout ce qui va me manquer .
- Et moi , lui dis - je , que deviendrai - je ? ma situation n' est - elle pas plus affreuse ? je n' ai rien là pour me consoler " , ajoutai - je en me frappant le front .
Il hocha la tête par un mouvement empreint d' une grâce pleine de tristesse , et nous nous quittâmes . En ce moment , Louis Lambert avait cinq pieds deux pouces , il n' a plus grandi . Sa physionomie , devenue largement expressive , attestait la bonté de son caractère .
Une patience divine développée par les mauvais traitements , une concentration continuelle exigée par sa vie contemplative , avaient dépouillé son regard de cette audacieuse fierté qui plaît dans certaines figures , et par laquelle il savait accabler nos Régents .
Sur son visage éclataient des sentiments paisibles , une sérénité ravissante que n' altérait jamais rien d' ironique ou de moqueur , car sa bienveillance native tempérait la conscience de sa force et de sa supériorité .
LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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