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Il avait certes trop de sens pour rester dans les nuages des théories , qui toutes peuvent se traduire en quelques mots . Aujourd' hui , la démonstration la plus simple appuyée sur les faits n' est - elle pas plus précieuse que ne le sont les plus beaux systèmes défendus par des inductions plus ou moins ingénieuses ? Mais ne l' ayant pas connu pendant l' époque de sa vie où il dut réfléchir avec le plus de fruit , je ne puis que conjecturer la portée de ses oeuvres d' après celle de ses premières méditations .
Il est facile de saisir en quoi péchait son Traité de la volonté . Quoique doué déjà des qualités qui distinguent les hommes supérieurs , il était encore enfant . Quoique riche et habile aux abstractions , son cerveau se ressentait encore des délicieuses croyances qui flottent autour de toutes les jeunesses .
Sa conception touchait donc aux fruits mûrs de son génie par quelques points , et par une foule d' autres elle se rapprochait de la petitesse des germes .
à quelques esprits amoureux de poésie , son plus grand défaut eût semblé une qualité savoureuse . Son oeuvre portait les marques de la lutte que se livraient dans cette belle âme ces deux grands principes , le Spiritualisme , le Matérialisme , autour desquels ont tourné tant de beaux génies , sans qu' aucun d' eux ait osé les fondre en un seul .
D' abord spiritualiste pur , Louis avait été conduit invinciblement à reconnaître la matérialité de la pensée .
Battu par les faits de l' analyse au moment où son coeur lui faisait encore regarder avec amour les nuages épars dans les cieux de Swedenborg , il ne se trouvait pas encore de force à produire un système unitaire , compact , fondu d' un seul jet .
De là venaient quelques contradictions empreintes jusque dans l' esquisse que je trace de ses premiers essais .
Quelque incomplet que fût son ouvrage , n' était - il pas le brouillon d' une science dont , plus tard , il aurait approfondi les mystères , assuré les bases , recherché , déduit et enchaîné les développements ?
Six mois après la confiscation du Traité de la volonté , je quittai le collège . Notre séparation fut brusque . Ma mère , alarmée d' une fièvre qui depuis quelque temps ne me quittait pas , et à laquelle mon inaction corporelle donnait les symptômes du coma , m' enleva du collège en quatre ou cinq heures .
à l' annonce de mon départ , Lambert devint d' une tristesse effrayante . Nous nous cachâmes pour pleurer .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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