----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Pour lui , la Pensée était lente ou prompte , lourde ou agile , claire ou obscure ; il lui attribuait toutes les qualités des êtres agissants , la faisait saillir , se reposer , se réveiller , grandir , vieillir , se rétrécir , s' atrophier , s' aviver ; il en surprenait la vie en en spécifiant tous les actes par les bizarreries de notre langage ; il en constatait la spontanéité , la force , les qualités avec une sorte d' intuition qui lui faisait reconnaître tous les phénomènes de cette substance .
" Souvent , au milieu du calme et du silence , me disait - il , lorsque nos facultés intérieures sont endormies , quand nous nous abandonnons à la douceur du repos , qu' il s' étend des espèces de ténèbres en nous , et que nous tombons dans la contemplation des choses extérieures , tout à coup une idée s' élance , passe avec la rapidité de l' éclair à travers les espaces infinis dont la perception nous est donnée par notre vue intérieure .
Cette idée brillante , surgie comme un feu follet , s' éteint sans retour : existence éphémère , pareille à celle de ces enfants qui font connaître aux parents une joie et un chagrin sans bornes ; espèce de fleur mort - née dans les champs de la pensée .
Parfois l' idée , au lieu de jaillir avec force et de mourir sans consistance , commence à poindre , se balance dans les limbes inconnus des organes où elle prend naissance ; elle nous use par un long enfantement , se développe , devient féconde , grandit au dehors dans la grâce de la jeunesse et parée de tous les attributs d' une longue vie ; elle soutient les plus curieux regards , elle les attire , ne les lasse jamais : l' examen qu' elle provoque commande l' admiration que suscitent les oeuvres longtemps élaborées .
Tantôt les idées naissent par essaim , l' une entraîne l' autre , elles s' enchaînent , toutes sont agaçantes , elles abondent , elles sont folles .
Tantôt elles se lèvent pâles , confuses , dépérissent faute de force ou d' aliments ; la substance génératrice manque .
Enfin , à certains jours , elle se précipitent dans les abîmes pour en éclairer les immenses profondeurs ; elles nous épouvantent et laissent notre âme abattue .
Les idées sont en nous un système complet , semblable à l' un des règnes de la nature , une sorte de floraison dont l' iconographie sera retracée par un homme de génie qui passera pour fou peut - être .
Oui , tout , en nous et au dehors , atteste la vie de ces créations ravissantes que je compare à des fleurs , en obéissant à je ne sais quelle révélation de leur nature ! Leur production comme fin de l' homme n' est d' ailleurs pas plus étonnante que celle des parfums et des couleurs dans la plante .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
Page: 632