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Il était spiritualiste ; mais j' osais le contredire en m' armant de ses observations mêmes pour considérer l' intelligence comme un produit tout physique . Nous avions raison tous deux . Peut - être les mots matérialisme et spiritualisme expriment - ils les deux côtés d' un seul et même fait . Ses études sur la substance de la pensée lui faisaient accepter avec une sorte d' orgueil la vie de privations à laquelle nous condamnaient et notre paresse et notre dédain pour nos devoirs .
Il avait une certaine conscience de sa valeur , qui le soutenait dans ses travaux spirituels .
Avec quelle douceur je sentais son âme réagissant sur la mienne ! Combien de fois ne sommes - nous pas demeurés assis sur notre banc , occupés tous deux à lire un livre , nous oubliant réciproquement sans nous quitter ; mais nous sachant tous deux là , plongés dans un océan d' idées comme deux poissons qui nagent dans les mêmes eaux ! Notre vie était donc toute végétative en apparence , mais nous existions par le coeur et par le cerveau .
Les sentiments , les pensées étaient les seuls événements de notre vie scolaire .
Lambert exerça sur mon imagination une influence de laquelle je me ressens encore aujourd' hui . J' écoutais avidement ses récits empreints de ce merveilleux qui fait dévorer avec tant de délices , aux enfants comme aux hommes , les contes où le vrai affecte les formes les plus absurdes .
Sa passion pour les mystères et la crédulité naturelle au jeune âge nous entraînaient souvent à parler du Ciel et de l' Enfer .
Louis tâchait alors , en m' expliquant Swedenborg , de me faire partager ses croyances relatives aux anges . Dans ses raisonnements les plus faux se rencontraient encore des observations étonnantes sur la puissance de l' homme , et qui imprimaient à sa parole ces teintes de vérité sans lesquelles rien n' est possible dans aucun art .
La fin romanesque de laquelle il dotait la destinée humaine était de nature à caresser le penchant qui porte les imaginations vierges à s' abandonner aux croyances .
N' est - ce pas durant leur jeunesse que les peuples enfantent leurs dogmes , leurs idoles ? Et les êtres surnaturels devant lesquels ils tremblent ne sont - ils pas la personnification de leurs sentiments , de leurs besoins agrandis ? Ce qui me reste aujourd' hui dans la mémoire des conversations pleines de poésie que nous eûmes , Lambert et moi , sur le Prophète suédois , de qui j' ai lu depuis les oeuvres par curiosité , peut se réduire à ce précis .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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