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" En lisant le récit de la bataille d' Austerlitz , me dit - il un jour , j' en ai vu tous les incidents . Les volées de canon , les cris des combattants retentissaient à mes oreilles et m' agitaient les entrailles ; je sentais la poudre , j' entendais le bruit des chevaux et la voix des hommes ; j' admirais la plaine où se heurtaient des nations armées , comme si j' eusse été sur la hauteur du Santon .
Ce spectacle me semblait effrayant comme une page de l' Apocalypse . "
Quand il employait ainsi toutes ses forces dans une lecture , il perdait en quelque sorte la conscience de sa vie physique , et n' existait plus que par le jeu tout - puissant de ses organes intérieurs dont la portée s' était démesurément étendue : il laissait , suivant son expression , l' espace derrière lui .
Mais je ne veux pas anticiper sur les phases intellectuelles de sa vie . Malgré moi déjà , je viens d' intervertir l' ordre dans lequel je dois dérouler l' histoire de cet homme qui transporta toute son action dans sa pensée , comme d' autres placent toute leur vie dans l' action .
Un grand penchant l' entraînait vers les ouvrages mystiques . " Abyssus abyssum " , me disait - il . Notre esprit est un abîme qui se plaît dans les abîmes . Enfants , hommes , vieillards , nous sommes toujours friands de mystères , sous quelque forme qu' ils se présentent .
Cette prédilection lui fut fatale , s' il est permis toutefois de juger sa vie selon les lois ordinaires , et de toiser le bonheur d' autrui avec la mesure du nôtre , ou d' après les préjugés sociaux .
Ce goût pour les choses du ciel , autre locution qu' il employait souvent , ce mens divinior était dû peut - être à l' influence exercée sur son esprit par les premiers livres qu' il lut chez son oncle .
Sainte Thérèse et Mme Guyon lui continuèrent la Bible , eurent les prémices de son adulte intelligence , et l' habituèrent à ces vives réactions de l' âme dont l' extase est à la fois et le moyen et le résultat .
Cette étude , ce goût élevèrent son coeur , le purifièrent , l' ennoblirent , lui donnèrent appétit de la nature divine , et l' instruisirent des délicatesses presque féminines qui sont instinctives chez les grands hommes : peut - être leur sublime n' est - il que le besoin de dévouement qui distingue la femme , mais transporté dans les grandes choses .
Grâce à ces premières impressions , Louis resta pur au collège .
Cette noble virginité de sens eut nécessairement pour effet d' enrichir la chaleur de son sang et d' agrandir les facultés de sa pensée .
LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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