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L' absorption des idées par la lecture était devenue chez lui un phénomène curieux ; son oeil embrassait sept à huit lignes d' un coup , et son esprit en appréciait le sens avec une vélocité pareille à celle de son regard , souvent même un mot dans la phrase suffisait pour lui en faire saisir le suc .
Sa mémoire était prodigieuse . Il se souvenait avec une même fidélité des pensées acquises par la lecture et de celles que la réflexion ou la conversation lui avaient suggérées . Enfin il possédait toutes les mémoires : celles des lieux , des noms , des mots , des choses et des figures .
Non seulement il se rappelait les objets à volonté ; mais encore il les revoyait en lui - même situés , éclairés , colorés comme ils l' étaient au moment où il les avait aperçus .
Cette puissance s' appliquait également aux actes les plus insaisissables de l' entendement . Il se souvenait , suivant son expression , non seulement du gisement des pensées dans le livre où il les avait prises , mais encore des dispositions de son âme à des époques éloignées .
Par un privilège inouï , sa mémoire pouvait donc lui retracer les progrès et la vie entière de son esprit , depuis l' idée la plus anciennement acquise jusqu' à la dernière éclose , depuis la plus confuse jusqu' à la plus lucide .
Son cerveau , habitué jeune encore au difficile mécanisme de la concentration des forces humaines tirait de ce riche dépôt une foule d' images admirables de réalité , de fraîcheur , desquelles il se nourrissait pendant la durée de ses limpides contemplations .
" Quand je le veux , me disait - il dans son langage auquel les trésors du souvenir communiquaient une hâtive originalité , je tire un voile sur mes yeux . Soudain je rentre en moi - même , et j' y trouve une chambre noire où les accidents de la nature viennent se reproduire sous une forme plus pure que la forme sous laquelle ils sont d' abord apparus à mes sens extérieurs .
"
à l' âge de douze ans , son imagination , stimulée par le perpétuel exercice de ses facultés , s' était développée au point de lui permettre d' avoir des notions si exactes sur les choses qu' il percevait par la lecture seulement , que l' image imprimée dans son âme n' en eût pas été plus vive s' il les avait réellement vues ; soit qu' il procédât par analogie , soit qu' il fût doué d' une espèce de seconde vue par laquelle il embrassait la nature .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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