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à cette époque , les remplaçants étaient rares ; déjà plusieurs familles riches les retenaient d' avance pour n' en pas manquer au moment du tirage . Le peu de fortune des pauvres tanneurs ne leur permettant pas d' acheter un homme à leur fils , ils trouvèrent dans l' état ecclésiastique le seul moyen que leur laissât la loi de le sauver de la conscription , et ils l' envoyèrent , en 1807 , chez son oncle maternel , curé de Mer , autre petite ville située sur la Loire , près de Blois .
Ce parti satisfaisait tout à la fois la passion de Louis pour la science et le désir qu' avaient ses parents de ne point l' exposer aux affreuses chances de la guerre ; ses goûts studieux et sa précoce intelligence donnaient d' ailleurs l' espoir de lui voir faire une grande fortune dans l' Église .
Après être resté pendant environ trois ans chez son oncle , vieil oratorien assez instruit , Louis en sortit au commencement de 1811 pour entrer au collège de Vendôme , où il fut mis et entretenu aux frais de Mme de Staël .
Lambert dut la protection de cette femme célèbre au hasard ou sans doute à la Providence qui sait toujours aplanir les voies au génie délaissé . Mais pour nous , de qui les regards s' arrêtent à la superficie des choses humaines , ces vicissitudes , dont tant d' exemples nous sont offerts dans la vie des grands hommes , ne semblent être que le résultat d' un phénomène tout physique ; et pour la plupart des biographes , la tête d' un homme de génie tranche sur les masses comme une belle plante qui par son éclat attire dans les champs les yeux du botaniste .
Cette comparaison pourrait s' appliquer à l' aventure de Louis Lambert , qui venait ordinairement passer dans la maison paternelle le temps que son oncle lui accordait pour ses vacances ; mais au lieu de s' y livrer , selon l' habitude des écoliers , aux douceurs de ce bon farniente qui nous affriole à tout âge , il emportait dès le matin du pain et des livres ; puis il allait lire et méditer au fond des bois pour se dérober aux remontrances de sa mère , à laque le de si constantes études paraissaient dangereuses .
Admirable instinct de mère ! Dès ce temps , la lecture était devenue chez Louis une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir , il dévorait des livres de tout genre , et se repaissait indistinctement d' oeuvres religieuses , d' histoire , de philosophie et de physique .
Il m' a dit avoir éprouvé d' incroyables délices en lisant des dictionnaires , à défaut d' autres ouvrages , et je l' ai cru volontiers .

LOUIS LAMBERT (XI, philo)
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