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J' ai vu clair : je suis perdue . Oui , Renée , à trente ans , dans toute la gloire de la beauté , riche des ressources de mon esprit , parée des séductions de la toilette , toujours fraîche , élégante , je suis trahie , et pour qui ? pour une Anglaise qui a de gros pieds , de gros os , une grosse poitrine , quelque vache britannique .
Je n' en puis plus douter . Voici ce qui m' est arrivé dans ces derniers jours .
Fatiguée de douter , pensant que s' il avait secouru l' un de ses amis , Gaston pouvait me le dire le voyant accusé par son silence , et le trouvant convié par une continuelle soif d' argent au travail ; jalouse de son travail , inquiète de ses perpétuelles courses à Paris , j' ai pris mes mesures , et ces mesures m' ont fait descendre alors si bas que je ne puis t' en rien dire .
Il y a trois jours , j' ai su que Gaston se rend , quand il va à Paris , rue de la Ville - l' Évêque , dans une maison où ses amours sont gardés par une discrétion sans exemple à Paris .
Le portier , peu causeur , a dit peu de chose , mais assez pour me désespérer .
J' ai fait alors le sacrifice de ma vie , et j' ai seulement voulu tout savoir . Je suis allée à Paris , j' ai pris un appartement dans la maison qui se trouve en face de celle où se rend Gaston , et je l' ai pu voir de mes yeux entrant à cheval dans la cour .
Oh ! j' ai eu trop tôt une horrible et affreuse révélation . Cette Anglaise , qui me paraît avoir trente - six ans , se fait appeler Mme Gaston .
Cette découverte a été pour moi le coup de la mort . Enfin , je l' ai vue se rendant aux Tuileries avec deux enfants ... oh ! ma chère , deux enfants qui sont les vivantes miniatures de Gaston .
Il est impossible de ne pas être frappée d' une si scandaleuse ressemblance ... Et quels jolis enfants ! ils sont habillés fastueusement , comme les Anglaises savent les arranger . Elle lui a donné des enfants ! tout s' explique .
Cette Anglaise est une espèce de statue grecque descendue de quelque monument ; elle a la blancheur et la froideur du marbre , elle marche solennellement en mère heureuse . Elle est belle , il faut en convenir , mais c' est lourd comme un vaisseau de guerre .
Elle n' a rien de fin ni de distingué : certes , elle n' est pas lady , c' est la fille de quelque fermier d' un méchant village dans un lointain comté , ou la onzième fille de quelque pauvre ministre .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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