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La maternité , mon ange , est pour le coeur de la femme une de ces choses simples , naturelles , fertiles , inépuisables comme celles qui sont les éléments de la vie . Je me souviens d' avoir un jour , il y a bientôt quatorze ans , embrassé le dévouement comme un naufragé s' attache au mât de son vaisseau par désespoir ; mais aujourd' hui , quand j' évoque par le souvenir toute ma vie devant moi , je choisirais encore ce sentiment comme le principe de ma vie , car il est le plus sûr et le plus fécond de tous .
L' exemple de ta vie , assise sur un égoïsme féroce , quoique caché par les poésies du coeur , a fortifié ma résolution .
Je ne te dirai plus jamais ces choses , mais je devais te les dire encore une dernière fois en apprenant que ton bonheur résiste à la plus terrible des épreuves .
Ta vie à la campagne , objet de mes méditations , m' a suggéré cette autre observation que je dois te soumettre . Notre vie est composée , pour le corps comme pour le coeur , de certains mouvements réguliers .
Tout excès apporté dans ce mécanisme est une cause de plaisir ou de douleur ; or , le plaisir ou la douleur est une fièvre d' âme essentiellement passagère , parce qu' elle n' est pas longtemps supportable .
Faire de l' excès sa vie même , n' est - ce pas vivre malade ! Tu vis malade , en maintenant à l' état de passion un sentiment qui doit devenir dans le mariage une force égale et pure . Oui , mon ange , aujourd' hui je le reconnais : la gloire du ménage est précisément dans ce calme , dans cette profonde connaissance mutuelle , dans cet échange de biens et de maux que les plaisanteries vulgaires lui reprochent .
Oh ! combien il est grand ce mot de la duchesse de Sully , la femme du grand Sully enfin , à qui l' on disait que son mari , quelque grave qu' il parût , ne se faisait pas scrupule d' avoir une maîtresse : " C' est tout simple , a - t - elle répondu , je suis l' honneur de la maison , et serais fort chagrine d' y jouer le rôle d' une courtisane .
" Plus voluptueuse que tendre , tu veux être et la femme et la maîtresse .
Avec l' âme d' Héloïse et les sens de sainte Thérèse , tu te livres à des égarements sanctionnés par les lois ; en un mot , tu dépraves l' institution du mariage .
Oui , toi qui me jugeais si sévèrement quand je paraissais immorale en acceptant , dès la veille de mon mariage , les moyens du bonheur en pliant tout à ton usage , tu mérites aujourd' hui les reproches que tu m' adressais .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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