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Notre grand écrivain Daniel d' Arthez a empêché cette folie et s' est intéressé noblement à Marie Gaston , auquel il a souvent donné , comme me l' a dit le poète dans son langage énergique , la pâtée et la niche . En effet , juge de la détresse de cet enfant : il a cru que le génie était le plus rapide des moyens de fortune , n' est - ce pas à en rire pendant vingt - quatre heures ? depuis 1828 jusqu' en 1833 , il a donc tâché de se faire un nom dans les lettres , et naturellement il a mené la plus effroyable vie d' angoisses , d' espérances , de travail et de privations qui se puisse imaginer .
Entraîné par une excessive ambition et malgré les bons conseils de d' Arthez , il n' a fait que grossir la boule de neige de ses dettes .
Son nom commençait cependant à percer quand je l' ai rencontré chez la marquise d' Espard .
Là , sans qu' il s' en doutât , je me suis sentie éprise de lui sympathiquement à la première vue .
Comment n' a - t - il pas encore été aimé ? comment me l' a - t - on laissé ? Oh ! il a du génie et de l' esprit , du coeur et de la fierté ; les femmes s' effraient toujours de ces grandeurs complètes .
N' a - t - il pas fallu cent victoires pour que Joséphine aperçût Napoléon dans le petit Bonaparte , son mari ? L' innocente créature croit savoir combien je l' aime ! Pauvre Gaston ! il ne s' en doute pas ; mais à toi je vais le dire , il faut que tu le saches , car il y a , Renée , un peu de testament dans cette lettre .
Médite bien mes paroles .
En ce moment j' ai la certitude d' être aimée autant qu' une femme peut être aimée sur cette terre , et j' ai foi dans cette adorable vie conjugale où j' apporte un amour que je ne connaissais pas ... Oui , j' éprouve enfin le plaisir de la passion ressentie .
Ce que toutes les femmes demandent aujourd' hui à l' amour , le mariage me le donne . Je sens en moi pour Gaston l' adoration que j' inspirais à mon pauvre Felipe ! je ne suis pas maîtresse de moi , je tremble devant cet enfant comme l' Abencérage tremblait devant moi .
Enfin , j' aime plus que je ne suis aimée ; j' ai peur de toute chose j' ai les frayeurs les plus ridicules , j' ai peur d' être quittée , je tremble d' être vieille et laide quand Gaston sera toujours jeune et beau , je tremble de ne pas lui plaire assez ! Cependant je crois posséder les facultés , le dévouement , l' esprit nécessaires pour , non pas entretenir , mais faire croître cet amour loin du monde et dans la solitude .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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