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Tu ne saurais imaginer jusqu' où ce cher esclave poussait l' obéissance : je lui disais parfois de s' en aller et de me laisser seule , il sortait sans discuter une fantaisie de laquelle peut - être il souffrait . Jusqu' à son dernier soupir il m' a bénie , en me répétant qu' une seule matinée , seul à seule avec moi , valait plus pour lui qu' une longue vie avec une autre femme aimée , fût - ce Marie Hérédia .
Je pleure en t' écrivant ces paroles .
Maintenant , je me lève à midi , je me couche à sept heures du soir , je mets un temps ridicule à mes repas , je marche lentement , je reste une heure devant une plante , je regarde les feuillages , je m' occupe avec mesure et gravité de riens , j' adore l' ombre , le silence et la nuit ; enfin je combats les heures et je les ajoute avec un sombre plaisir au passé .
La paix de mon parc est la seule compagnie que je veuille ; j' y trouve en toute chose les sublimes images de mon bonheur éteintes , invisibles pour tous , éloquentes et vives pour moi .
Ma belle - soeur s' est jetée dans mes bras quand un matin je leur ai dit : " Vous m' êtes insupportables ! Les Espagnols ont quelque chose de plus que nous de grand dans l' âme ! "
Ah ! Renée , si je ne suis pas morte , c' est que Dieu proportionne sans doute le sentiment du malheur à la force des affligés . Il n' y a que nous autres femmes qui sachions l' étendue de nos pertes quand nous perdons un amour sans aucune hypocrisie , un amour de choix , une passion durable dont les plaisirs satisfaisaient à la fois l' âme et la nature .
Quand rencontrons - nous un homme si plein de qualités que nous puissions l' aimer sans avilissement ? Le rencontrer est le plus grand bonheur qui nous puisse advenir , et nous ne saurions le rencontrer deux fois .
Hommes vraiment forts et grands , chez qui la vertu se cache sous la poésie , dont l' âme possède un charme élevé , faits pour être adorés , gardez - vous d' aimer , vous causeriez le malheur de la femme et le vôtre ! Voilà ce que je crie dans les allées de mes bois ! Et pas d' enfant de lui ! Cet intarissable amour qui me souriait toujours , qui n' avait que des fleurs et des joies à me verser , cet amour fut stérile .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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