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Quand on me l' a enlevé , je me suis couchée dans le même lit , espérant mourir , car il n' y avait qu' une porte entre nous , je me croyais encore assez de force pour la pousser ! Mais , hélas ! j' étais trop jeune , et après une convalescence de quarante jours , pendant lesquels on m' a nourrie avec un art affreux par les inventions d' une triste science , je me vois à la campagne , assise à ma fenêtre au milieu des belles fleurs qu' il faisait soigner pour moi , jouissant de cette vue magnifique sur laquelle ses regards ont tant de fois erré , qu' il s' applaudissait tant d' avoir découverte , puisqu' elle me plaisait .
Ah ! chère , la douleur de changer de place est inouïe quand le coeur est mort .
La terre humide de mon jardin me fait frissonner , la terre est comme une grande tombe , et je crois marcher sur lui ! à ma première sortie , j' ai eu peur et suis restée immobile .
C' est bien lugubre de voir ses fleurs sans lui !
Ma mère et mon père sont en Espagne , tu connais mes frères , et toi tu es obligée d' être à la campagne ; mais sois tranquille : deux anges avaient volé vers moi . Le duc et la duchesse de Soria , ces deux charmants êtres , sont accourus vers leur frère .
Les dernières nuits ont vu nos trois douleurs calmes et silencieuses autour de ce lit où mourait l' un de ces hommes vraiment nobles et vraiment grands , qui sont si rares et qui nous sont alors supérieurs en toute chose .
La patience de mon Felipe a été divine . La vue de son frère et de Marie a pour un moment rafraîchi son âme et apaisé ses douleurs .
" Chère , m' a - t - il dit avec la simplicité qu' il mettait en toute chose , j' allais mourir en oubliant de donner à Fernand la baronnie de Macumer , il faut refaire mon testament . Mon frère me pardonnera , lui qui sait ce qu' est d' aimer ! "
Je dois la vie aux soins de mon beau - frère et de sa femme , ils veulent m' emmener en Espagne !
Ah ! Renée , ce désastre , je ne puis en dire qu' à toi la portée . Le sentiment de mes fautes m' accable , et c' est une amère consolation que de te les confier , pauvre Cassandre inécoutée . Je l' ai tué par mes exigences , par mes jalousies hors de propos , par mes continuelles tracasseries .
Mon amour était d' autant plus terrible que nous avions une exquise et même sensibilité , nous parlions le même langage , il comprenait admirablement tout , et souvent ma plaisanterie allait , sans que je m' en doutasse , au fond de son coeur .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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