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Ta magnifique chevelure noire , tes beaux yeux bruns , ce front où les joies de la maternité mettent en relief tes éloquentes douleurs passées qui sont comme les ombres d' une radieuse lumière ; cette fraîcheur de peau méridionale plus blanche que ma blancheur de blonde ; cette puissance de formes , ce sein qui brille dans les dentelles comme un fruit délicieux auquel se suspend mon beau filleul , tout cela me blessait les yeux et le coeur . J' avais beau tantôt mettre des bleuets dans mes grappes de cheveux , tantôt relever la fadeur de mes tresses blondes par des rubans cerise , tout cela pâlissait devant une Renée que je ne m' attendais pas à trouver dans cette oasis de la Crampade .
Felipe enviait trop aussi cet enfant , que je me prenais à haïr . Oui , cette insolente vie qui remplit ta maison , qui l' anime , qui y crie , qui y rit , je la voulais à moi . J' ai lu des regrets dans les yeux de Macumer , j' en ai pleuré pendant deux nuits à son insu .
J' étais au supplice chez toi . Tu es trop belle femme et trop heureuse mère pour que je puisse rester auprès de toi . Ah ! hypocrite , tu te plaignais ! D' abord ton l' Estorade est très bien , il cause agréablement ; ses cheveux noirs mélangés de blancs sont jolis ; il a de beaux yeux , et ses façons de Méridional ont ce je ne sais quoi qui plaît .
D' après ce que j' ai vu , il sera tôt ou tard nommé député des Bouches - du - Rhône ; il fera son chemin à la Chambre , car je suis toujours à votre service en tout ce qui concerne vos ambitions .
Les misères de l' exil lui ont donné cet air calme et posé qui me semble être la moitié de la politique .
Selon moi , ma chère , toute la politique , c' est de paraître grave . Aussi disais - je à Macumer qu' il doit être un bien grand homme d' État .
Enfin , après avoir acquis la certitude de ton bonheur je m' en vais à tire - d' aile , contente , dans mon cher Chantepleurs , où Felipe s' arrangera pour être père , je ne veux t' y recevoir qu' ayant à mon sein un bel enfant semblable au tien .
Je mérite tous les noms que tu voudras me donner : je suis absurde , infâme , sans esprit . Hélas ! on est tout cela quand on est jalouse . Je ne t' en veux pas , mais je souffrais , et tu me pardonneras de m' être soustraite à de telles souffrances .
Encore deux jours , j' aurais commis quelque sottise . Oui , j' eusse été de mauvais goût . Malgré ces rages qui me mordaient le coeur , je suis heureuse d' être venue , heureuse de t' avoir vue mère si belle et si féconde , encore mon amie au milieu de tes joies maternelles , comme je reste toujours la tienne au milieu de mes amours .
Tiens , à Marseille , à quelques pas de vous , je suis déjà fière de toi , fière de cette grande mère de famille que tu seras .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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