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J' ai mon jour , le mercredi , où je reçois . Je suis entrée en lutte avec Mmes d' Espard et de Maufrigneuse , avec la vieille duchesse de Lenoncourt . Ma maison passe pour être amusante . Je me suis laissé mettre à la mode en voyant mon Felipe heureux de mes succès . Je lui donne les matinées ; car , depuis quatre heures jusqu' à deux heures du matin , j' appartiens à Paris .
Macumer est un admirable maître de maison : il est si spirituel et si grave , si vraiment grand et d' une grâce si parfaite , qu' il se ferait aimer d' une femme qui l' aurait épousé d' abord par convenance .
Mon père et ma mère sont partis pour Madrid : Louis XVIII mort , la duchesse a facilement obtenu de notre bon Charles X la nomination de son charmant poète , qu' elle emmène en qualité d' attaché .
Mon frère , le duc de Rhétoré , daigne me regarder comme une supériorité . Quant au comte de Chaulieu , ce militaire de fantaisie me doit une éternelle reconnaissance : ma fortune a été employée , avant le départ de mon père , à lui constituer en terres un majorat de quarante mille francs de rente , et son mariage avec Mlle de Mortsauf , une héritière de Touraine , est tout à fait arrangé .
Le roi , pour ne pas laisser s' éteindre le nom et les titres des maisons de Lenoncourt et de Givry , va autoriser par une ordonnance mon frère à succéder aux noms , titres et armes des Lenoncourt - Givry .
Comment en effet laisser périr ces deux beaux blasons et la sublime devise Faciem semper monstramus ! ! Mlle de Mortsauf , petite - fille et unique héritière du duc de Lenoncourt - Givry , réunira , dit - on , plus de cent mille livres de rente .
Mon père a seulement demandé que les armes des Chaulieu fussent en abîme sur celles des Lenoncourt .
Ainsi , mon frère sera duc de Lenoncourt .
Le jeune de Mortsauf , à qui toute cette fortune devait revenir , est au dernier degré de la maladie de poitrine ; on attend sa mort de moment en moment . L' hiver prochain , après le deuil , le mariage aura lieu .
J' aurai , dit - on , pour belle - soeur une charmante personne dans Madeleine de Mortsauf . Ainsi , comme tu le vois , mon père avait raison dans son argumentation .
Ce résultat m' a valu l' admiration de beaucoup de personnes , et mon mariage s' explique . Par affection pour ma grand - mère , le prince de Talleyrand prône Macumer , en sorte que notre succès est complet .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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