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Par tout ce que tu m' en as dit , chère mignonne , l' amour a quelque chose d' affreusement terrestre , tandis qu' il y a je ne sais quoi de religieux et de divin dans l' affection que porte une mère heureuse à celui de qui procèdent ces longues , ces éternelles joies . La joie d' une mère est une lumière qui jaillit jusque sur l' avenir et le lui éclaire , mais qui se reflète sur le passé pour lui donner le charme des souvenirs .
Le vieux l' Estorade et son fils ont redoublé d' ailleurs de bonté pour moi , je suis comme une nouvelle personne pour eux : leurs paroles , leurs regards me vont à l' âme , car ils me fêtent à nouveau chaque fois qu' ils me voient et me parlent .
Le vieux grand - père devient enfant , je crois ; il me regarde avec admiration . La première fois que je suis descendue à déjeuner , et qu' il m' a vue mangeant et donnant à téter à son petit - fils , il a pleuré .
Cette larme dans ces deux yeux secs où il ne brille guère que des pensées d' argent m' a fait un bien inexprimable ; il m' a semblé que le bonhomme comprenait mes joies .
Quant à Louis , il aurait dit aux arbres et aux cailloux du grand chemin qu' il avait un fils . Il passe des heures entières à regarder ton filleul endormi . Il ne sait pas dit - il , quand il s' y habituera .
Ces excessives démonstrations de joie m' ont révélé l' étendue de leurs appréhensions et de leurs craintes . Louis a fini par m' avouer qu' il doutait de lui - même , et se croyait condamné à ne jamais avoir d' enfants .
Mon pauvre Louis a changé soudainement en mieux , il étudie encore plus que par le passé . Cet enfant a doublé l' ambition du père . Quant à moi , ma chère âme , je suis de moment en moment plus heureuse .
Chaque heure apporte un nouveau lien entre une mère et son enfant . Ce que je sens en moi me prouve que ce sentiment est impérissable , naturel , de tous les instants ; tandis que je soupçonne l' amour , par exemple , d' avoir ses intermittences .
On n' aime pas de la même manière à tous moments , il ne se brode pas sur cette étoffe de la vie des fleurs toujours brillantes , enfin l' amour peut et doit cesser ; mais la maternité n' a pas de déclin à craindre , elle s' accroît avec les besoins de l' enfant , elle se développe avec lui .
N' est - ce pas à la fois une passion , un besoin , un sentiment , un devoir , une nécessité , le bonheur ? Oui , mignonne , voilà la vie particulière de la femme .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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