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Il n' y a rien de visible , ni de perceptible dans la conception , ni même dans la grossesse ; mais être nourrice , ma Louise , c' est un bonheur de tous les moments . On voit ce que devient le lait , il se fait chair , il fleurit au bout de ces doigts mignons qui ressemblent à des fleurs et qui en ont la délicatesse , il grandit en ongles fins et transparents , il s' effile en cheveux , il s' agite avec les pieds .
Oh ! des pieds d' enfant , mais c' est tout un langage . L' enfant commence à s' exprimer par là .
Nourrir , Louise ! c' est une transformation qu' on suit d' heure en heure et d' un oeil hébété . Les cris , vous ne les entendez point par les oreilles , mais par le coeur , les sourires des yeux et des lèvres , ou les agitations des pieds , vous les comprenez comme si Dieu vous écrivait des caractères en lettres de feu dans l' espace ! Il n' y a plus rien dans le monde qui vous intéresse : le père ? ... on le tuerait s' il s' avisait d' éveiller l' enfant .
On est à soi seul le monde pour cet enfant , comme l' enfant est le monde pour vous ! On est si sûre que notre vie est partagée , on est si amplement récompensée des peines qu' on se donne et des souffrances qu' on endure , car il y a des souffrances , Dieu te garde d' avoir une crevasse au sein ! Cette plaie qui se rouvre sous des lèvres de rose , qui se guérit si difficilement et qui cause des tortures à rendre folle , si l' on n' avait pas la joie de voir la bouche de l' enfant barbouillée de lait , est une des plus affreuses punitions de la beauté .
Ma Louise , songez - y , elle ne se fait que sur une peau délicate et fine .
Mon jeune singe est , en cinq mois , devenu la plus jolie créature que jamais une mère ait baignée de ses larmes joyeuses , lavée , brossée , peignée , pomponnée ; car Dieu sait avec quelle infatigable ardeur on pomponne , on habille , on brosse , on lave , on change , on baise ces petites fleurs ! Donc mon singe n' est plus un singe , mais un baby , comme dit ma bonne Anglaise , un baby blanc et rose ; et comme il se sent aimé , il ne crie pas trop ; mais , à la vérité , je ne le quitte guère , et m' efforce de le pénétrer de mon âme .
Chère , j' ai maintenant dans le coeur pour Louis un sentiment qui n' est pas l' amour , mais qui doit , chez une femme aimante , compléter l' amour . Je ne sais si cette tendresse , si cette reconnaissance dégagée de tout intérêt ne va pas au - delà de l' amour .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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