----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Ah ! mon ange , le réveil de toutes ces douleurs , de ces sensations confuses , de ces premières journées où tout est obscur , pénible et indécis , a été divin . Ces ténèbres ont été animées par une sensation dont les délices ont surpassé celles du premier cri de mon enfant . Mon coeur , mon âme , mon être , un moi inconnu a été réveillé dans sa coque souffrante et grise jusque - là , comme une fleur s' élance de sa graine au brillant appel du soleil .
Le petit monstre a pris mon sein et a tété : voilà le fiat lux ! J' ai soudain été mère . Voilà le bonheur , la joie , une joie ineffable , quoiqu' elle n' aille pas sans quelques douleurs . Oh ! ma belle jalouse , combien tu apprécieras un plaisir qui n' est qu' entre nous , l' enfant et Dieu .
Ce petit être ne connaît absolument que notre sein . Il n' y a pour lui que ce point brillant dans le monde , il l' aime de toutes ses forces , il ne pense qu' à cette fontaine de vie , il y vient et s' en va pour dormir , il se réveille pour y retourner .
Ses lèvres ont un amour inexprimable , et , quand elles s' y collent , elles y font à la fois une douleur et un plaisir , un plaisir qui va jusqu' à la douleur , ou une douleur qui finit par un plaisir ; je ne saurais t' expliquer une sensation qui du sein rayonne en moi jusqu' aux sources de la vie , car il semble que ce soit un centre d' où partent mille rayons qui réjouissent le coeur et l' âme .
Enfanter , ce n' est rien ; mais nourrir , c' est enfanter à toute heure .
Oh ! Louise , il n' y a pas de caresses d' amant qui puissent valoir celles de ces petites mains roses qui se promènent si doucement , et cherchent à s' accrocher à la vie .
Quels regards un enfant jette alternativement de notre sein à nos yeux ! Quels rêves on fait en le voyant suspendu par les lèvres à son trésor ! Il ne tient pas moins à toutes les forces de l' esprit qu' à toutes celles du corps , il emploie et le sang et l' intelligence , il satisfait au - delà des désirs .
Cette adorable sensation de son premier cri , qui fut pour moi ce que le premier rayon du soleil a été pour la terre , je l' ai retrouvée en sentant mon lait lui emplir la bouche ; je l' ai retrouvée en recevant son premier regard , je viens de la retrouver en savourant dans son premier sourire sa première pensée .
Il a ri , ma chère .
Ce rire , ce regard , cette morsure , ce cri , ces quatre jouissances sont infinies : elles vont jusqu' au fond du coeur , elles y remuent des cordes qu' elles seules peuvent remuer ! Les mondes doivent se rattacher à Dieu comme un enfant se rattache à toutes les fibres de sa mère : Dieu , c' est un grand coeur de mère .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
Page: 320