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Voici bientôt cinq mois que je suis accouchée , et je n' ai pas trouvé , ma chère âme , un seul petit moment pour t' écrire . Quand tu seras mère , tu m' excuseras plus pleinement que tu ne l' as fait , car tu m' as un peu punie en rendant tes lettres rares . Écris - moi , ma chère mignonne ! Dis - moi tous tes plaisirs , peins - moi ton bonheur à grandes teintes , verses - y l' outremer sans craindre de m' affliger , car je suis heureuse et plus heureuse que tu ne l' imagineras jamais .
Je suis allée à la paroisse entendre une messe de relevailles , en grande pompe , comme cela se fait dans nos vieilles familles de Provence . Les deux grands - pères , le père de Louis , le mien me donnaient le bras .
Ah ! jamais je ne me suis agenouillée devant Dieu dans un pareil accès de reconnaissance . J' ai tant de choses à te dire , tant de sentiments à te peindre , que je ne sais par où commencer ; mais , du sein de cette confusion , s' élève un souvenir radieux , celui de ma prière à l' église !
Quand , à cette place où , jeune fille , j' ai douté de la vie et de mon avenir , je me suis retrouvée métamorphosée en mère joyeuse , j' ai cru voir la Vierge de l' autel inclinant la tête et me montrant l' Enfant divin qui a semblé me sourire ! Avec quelle sainte effusion d' amour céleste j' ai présenté notre petit Armand à la bénédiction du curé qui l' a ondoyé en attendant le baptême .
Mais tu nous verras ensemble , Armand et moi .
Mon enfant , voilà que je t' appelle mon enfant ! mais c' est en effet le plus doux mot qu' il y ait dans le coeur , dans l' intelligence et sur les lèvres quand on est mère . Or donc , ma chère enfant , je me suis traînée , pendant les deux derniers mois , assez languissamment dans nos jardins , fatiguée , accablée par la gêne de ce fardeau que je ne savais pas être si cher et si doux malgré les ennuis de ces deux mois .
J' avais de telles appréhensions , des prévisions si mortellement sinistres , que la curiosité n' était pas la plus forte : je me raisonnais , je me disais que rien de ce que veut la nature n' est à redouter , je me promettais à moi - même d' être mère .
Hélas ! je ne me sentais rien au coeur , tout en pensant à cet enfant qui me donnait d' assez jolis coups de pied ; et , ma chère , on peut aimer à les recevoir quand on a déjà eu des enfants ; mais , pour la première fois , ces débats d' une vie inconnue apportent plus d' étonnement que de plaisir .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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