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Depuis que je mange de ces fruits , je n' ai plus de maux de coeur et ma santé s' est rétablie . Ces dépravations ont un sens , puisqu' elles sont un effet naturel et que la moitié des femmes éprouvent ces envies , monstrueuses quelquefois .
Quand ma grossesse sera très visible , je ne sortirai plus de la Crampade : je n' aimerais pas à être vue ainsi .
Je suis excessivement curieuse de savoir à quel moment de la vie commence la maternité . Ce ne saurait être au milieu des effroyables douleurs que je redoute .
Adieu , mon heureuse ! adieu , toi en qui je renais et par qui je me figure ces belles amours , ces jalousies à propos d' un regard , ces mots à l' oreille et ces plaisirs qui nous enveloppent comme une autre atmosphère , un autre sang , une autre lumière , une autre vie ! Ah ! mignonne , moi aussi je comprends l' amour .
Ne te lasse pas de me tout dire . Tenons bien nos conventions . Moi , je ne t' épargnerai rien .
Aussi te dirai - je , pour finir gravement cette lettre , qu' en te relisant une invincible et profonde terreur m' a saisie . Il m' a semblé que ce splendide amour défiait Dieu . Le souverain maître de ce monde , le Malheur , ne se courroucera - t - il pas de ne point avoir sa part de votre festin ? Quelle fortune superbe n' a - t - il pas renversée ! Oh ! Louise , n' oublie pas , au milieu de ton bonheur , de prier Dieu .
Fais du bien , sois charitable et bonne ; enfin conjure les adversités par ta modestie .
Moi , je suis devenue encore plus pieuse que je ne l' étais au couvent , depuis mon mariage . Tu ne me dis rien de la religion à Paris .
En adorant Felipe , il me semble que tu t' adresses , à l' encontre du proverbe , plus au saint qu' à Dieu . Mais ma terreur est excès d' amitié . Vous allez ensemble à l' église , et vous faites du bien en secret , n' es - t - ce pas ? Tu me trouveras peut - être bien provinciale dans cette fin de lettre ; mais pense que mes craintes cachent une excessive amitié , l' amitié comme l' entendait La Fontaine , celle qui s' inquiète et s' alarme d' un rêve , d' une idée à l' état de nuage .
Tu mérites d' être heureuse , puisque tu penses à moi dans ton bonheur , comme je pense à toi dans ma vie monotone , un peu grise , mais pleine ; sobre , mais productive : sois donc bénie !
DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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