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Felipe est un ange . Je puis penser tout haut avec lui . Sans figure de rhétorique , il est un autre moi . Sa grandeur est inexplicable : il s' attache plus étroitement par la possession , et découvre dans le bonheur de nouvelles raisons d' aimer .
Je suis pour lui la plus belle partie de lui - même . Je le vois : des années de mariage , loin d' altérer l' objet de ses délices , augmenteront sa confiance , développeront de nouvelles sensibilités , et fortifieront notre union .
Quel heureux délire ! Mon âme est ainsi faite que les plaisirs laissent en moi de fortes lueurs , ils me réchauffent , ils s' empreignent dans mon être intérieur : l' intervalle qui les sépare est comme la petite nuit des grands jours .
Le soleil qui a doré les cimes à son coucher les retrouve presque chaudes à son lever . Par quel heureux hasard en a - t - il été pour moi sur - le - champ ainsi ? Ma mère avait éveillé chez moi mille craintes ; ses prévisions , qui m' ont semblé pleines de jalousie , quoique sans la moindre petitesse bourgeoise , ont été trompées par l' événement , car tes craintes et les siennes , les miennes , tout s' est dissipé ! Nous sommes restés à Chantepleurs sept mois et demi , comme deux amants dont l' un a enlevé l' autre , et qui ont fui des parents courroucés .
Les roses du plaisir ont couronné notre amour , elles fleurissent notre vie à deux .
Par un retour subit sur moi - même , un matin où j' étais plus pleinement heureuse , j' ai songé à ma Renée et à son mariage de convenance , et j' ai deviné ta vie , je l' ai pénétrée ! O mon ange , pourquoi parlons - nous une langue différente ? Ton mariage purement social , et mon mariage qui n' est qu' un amour heureux , sont deux mondes qui ne peuvent pas plus se comprendre que le fini ne peut comprendre l' infini .
Tu restes sur la terre , je suis dans le ciel ! Tu es dans la sphère humaine , et je suis dans la sphère divine .
Je règne par l' amour , tu règnes par le calcul et par le devoir .
Je suis si haut que s' il y avait une chute je serais brisée en mille miettes .
Enfin , je dois me taire , car j' ai honte de te peindre l' éclat , la richesse , les pimpantes joies d' un pareil printemps d' amour .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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