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Ainsi , belle biche , si je suis restée quelques mois sans t' écrire , tu devines maintenant pourquoi . Je suis forcée de me rappeler l' étrange passé de la jeune fille pour t' expliquer la femme . Renée , je te comprends aujourd' hui . Ce n' est ni à une amie intime , ni à sa mère , ni peut - être à soi - même , qu' une jeune mariée heureuse peut parler de son heureux mariage . Nous devons laisser ce souvenir dans notre âme comme un sentiment de plus qui nous appartient en propre et pour lequel il n' y a pas de nom .
Comment ! on a nommé un devoir les gracieuses folies du coeur et l' irrésistible entraînement du désir . Et pourquoi ? Quelle horrible puissance a donc imaginé de nous obliger à fouler les délicatesses du goût , les mille pudeurs de la femme , en convertissant ces voluptés en devoirs ? Comment peut - on devoir ces fleurs de l' âme , ces roses de la vie , ces poèmes de la sensibilité exaltée , à un être qu' on n' aimerait pas ? Des droits dans de telles sensations ! mais elles naissent et s' épanouissent au soleil de l' amour , ou leurs germes se détruisent sous les froideurs de la répugnance et de l' aversion .
à l' amour d' entretenir de tels prestiges ! O ma sublime Renée , je te trouve bien grande maintenant ! Je plie le genou devant toi , je m' étonne de ta profondeur et de ta perspicacité .
Oui , la femme qui ne fait pas , comme moi , quelque secret mariage d' amour caché sous les noces légales et publiques , doit se jeter dans la maternité comme une âme à qui la terre manque se jette dans le ciel ! De tout ce que tu m' as écrit , il ressort un principe cruel : il n' y a que les hommes supérieurs qui sachent aimer .
Je sais aujourd' hui pourquoi .
L' homme obéit à deux principes .
Il se rencontre en lui le besoin et le sentiment .
Les êtres inférieurs ou faibles prennent le besoin pour le sentiment , tandis que les êtres supérieurs couvrent le besoin sous les admirables effets du sentiment : le sentiment leur communique par sa violence une excessive réserve , et leur inspire i' adoration de la femme .
Évidemment la sensibilité se trouve en raison de la puissance des organisations intérieures , et l' homme de génie est alors le seul qui se rapproche de nos délicatesses : il entend , devine , comprend la femme ; il l' élève sur les ailes de son désir contenu par les timidités du sentiment .
Aussi , lorsque l' intelligence , le coeur et les sens également ivres nous entraînent , n' est - ce pas sur la terre que l' on tombe on s' élève alors dans les sphères célestes , et malheureusement on n' y reste pas assez longtemps .
Telle est ma chère âme , la philosophie des trois premiers mois de mon mariage .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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