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J' ai pris le beau bras de ma mère et lui ai baisé la main en y mettant une larme que son accent avait attirée dans mes yeux . J' ai deviné dans cette haute morale , digne d' elle et de moi , la plus profonde sagesse , une tendresse sans bigoterie sociale , et surtout une véritable estime de mon caractère . Dans ces simples paroles , elle a mis le résumé des enseignements que sa vie et son expérience lui ont peut - être chèrement vendus .
Elle fut touchée , et me dit en me regardant : " Chère fillette ! tu vas faire un terrible passage . Et la plupart des femmes ignorantes ou désabusées sont capables d' imiter le comte de Westmoreland .
"
Nous nous mîmes à rire . Pour t' expliquer cette plaisanterie , je dois te dire qu' à table , la veille , une princesse russe nous avait raconté que le comte de Westmoreland ayant énormément souffert du mal de mer pendant le passage de la Manche , et voulant aller en Italie , tourna bride et revint quand on lui parla du passage des Alpes : " J' ai assez de passages comme cela ! " dit - il .
Tu comprends , Renée , que ta sombre philosophie et la morale de ma mère étaient de nature à réveiller les craintes qui nous agitaient à Blois .
Plus le mariage approchait , plus j' amassais en moi de force , de volonté , de sentiments pour résister au terrible passage de l' état de jeune fille à l' état de femme .
Toutes nos conversations me revenaient à l' esprit , je relisais tes lettres et j' y découvrais je ne sais quelle mélancolie cachée .
Ces appréhensions ont eu le mérite de me rendre la fiancée vulgaire des gravures et du public . Aussi le monde m' a - t - il trouvée charmante et très convenable le jour de la signature du contrat .
Ce matin , à la mairie où nous sommes allés sans cérémonie , il n' y a eu que les témoins . Je te finis ce bout de lettre pendant que l' on apprête ma toilette pour le dîner . Nous serons mariés à l' église de Sainte - Valère , ce soir à minuit , après une brillante soirée .
J' avoue que mes craintes me donnent un air de victime et une fausse pudeur qui me vaudront des admirations auxquelles je ne comprends rien .
Je suis ravie de voir mon pauvre Felipe tout aussi jeune fille que moi , le monde le blesse , il est comme une chauve - souris dans une boutique de cristaux . " Heureusement que cette journée a un lendemain ! " m' a - t - il dit à l' oreille sans y entendre malice .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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