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D' ailleurs , je me suis imposé des obligations de toilette qui me prennent le temps entre mon lever et le déjeuner : je tiens à y paraître charmante par obéissance à mes devoirs de femme , j' en éprouve du contentement , et j' en cause un bien vif au bon vieillard et à Louis . Nous nous promenons après le déjeuner . Quand les journaux arrivent , je disparais pour m' acquitter de mes affaires de ménage ou pour lire , car je lis beaucoup , ou pour t' écrire .
Je reviens une heure avant le dîner , et après on joue , on a des visites , ou on en fait . Je passe ainsi mes journées entre un vieillard heureux , sans désirs , et un homme pour qui je suis le bonheur .
Louis est si content , que sa joie a fini par réchauffer mon âme . Le bonheur , pour nous , ne doit sans doute pas être le plaisir . Quelquefois , le soir , quand je ne suis pas utile à la partie , et que je suis enfoncée dans une bergère , ma pensée est assez puissante pour me faire entrer en toi ; j' épouse alors ta belle vie si féconde , si nuancée , si violemment agitée , et je me demande à quoi te mèneront ces turbulentes préfaces , ne tueront - elles pas le livre ? Tu peux avoir les illusions de l' amour , toi , chère mignonne ; mais moi , je n' ai plus que les réalités du ménage .
Oui , tes amours me semblent un songe ! Aussi ai - je de la peine à comprendre pourquoi tu les rends si romanesques .
Tu veux un homme qui ait plus d' âme que de sens , plus de grandeur et de vertu que d' amour ; tu veux que le rêve des jeunes filles à l' entrée de la vie prenne un corps ; tu demandes des sacrifices pour les récompenser ; tu soumets ton Felipe à des épreuves pour savoir si le désir , si l' espérance , si la curiosité seront durables .
Mais , enfant , derrière tes décorations fantastiques s' élève un autel où se prépare un lien éternel .
Le lendemain du mariage , le terrible fait qui change la fille en femme et l' amant en mari peut renverser les élégants échafaudages de tes subtiles précautions .
Sache donc enfin que deux amoureux , tout aussi bien que deux personnes mariées comme nous l' avons été Louis et moi , vont chercher sous les joies d' une noce , selon le mot de Rabelais , un grand peut - être !
Je ne te blâme pas , quoique ce soit un peu léger , de causer avec Don Felipe au fond du jardin , de l' interroger , de passer une nuit à ton balcon , lui sur le mur ; mais tu joues avec la vie , enfant , et j' ai peur que la vie ne joue avec toi .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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