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Hier , chez Mme d' Espard , vous avez eu je ne sais quel air content qui m' a souverainement déplu . Vous paraissiez sûr d' être aimé . Enfin , la liberté de votre esprit m' a épouvantée , et je n' ai point reconnu en vous , dans ce moment , le serviteur que vous disiez être dans votre première lettre . Loin d' être absorbé comme doit l' être un homme qui aime , vous trouviez des mots spirituels .
Ainsi ne se comporte pas un vrai croyant : il est toujours abattu devant la divinité . Si je ne suis pas un être supérieur aux autres femmes , si vous ne voyez point en moi la source de votre vie , je suis moins qu' une femme parce qu' alors je suis simplement une femme .
Vous avez éveillé ma défiance , Felipe : elle a grondé de manière à couvrir la voix de la tendresse , et quand j' envisage notre passé , je me trouve le droit d' être défiante .
Sachez - le , monsieur le ministre constitutionnel de toutes les Espagnes , j' ai profondément réfléchi à la pauvre condition de mon sexe . Mon innocence a tenu des flambeaux dans ses mains sans se brûler .
Écoutez bien ce que ma jeune expérience m' a dit et ce que je vous répète . En toute autre chose , la duplicité , le manque de foi , les promesses inexécutées rencontrent des juges , et les juges infligent des châtiments ; mais il n' en est pas ainsi pour l' amour , qui doit être à la fois la victime , l' accusateur , l' avocat , le tribunal et le bourreau ; car les plus atroces perfidies , les plus horribles crimes demeurent inconnus , se commettent d' âme à âme sans témoins , et il est dans l' intérêt bien entendu de l' assassiné de se taire .
L' amour a donc son code à lui , sa vengeance à lui : le monde n' a rien à y voir .
Or , j' ai résolu , moi , de ne jamais pardonner un crime , et il n' y a rien de léger dans les choses du coeur .
Hier , vous ressembliez à un homme certain d' être aimé .
Vous auriez tort de ne pas avoir cette certitude , mais vous seriez criminel à mes yeux si elle vous ôtait la grâce ingénue que les anxiétés de l' espérance vous donnaient auparavant . Je ne veux vous voir ni timide ni fat , je ne veux pas que vous trembliez de perdre mon affection , parce que ce serait une insulte ; mais je ne veux pas non plus que la sécurité vous permette de porter légèrement votre amour .
Vous ne devez jamais être plus libre que je ne le suis moi - même .
Si vous ne connaissez pas le supplice qu' une seule pensée de doute impose à l' âme , tremblez que je ne vous l' apprenne . Par un seul regard je vous ai livré mon âme , et vous y avez lu . Vous avez à vous les sentiments les plus purs qui jamais se soient élevés dans une âme de jeune fille .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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