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Ah ! mon ange , le mariage rend philosophe ? ... Ta chère figure devait être jaune alors que tu m' écrivais ces terribles pensées sur la vie humaine et sur nos devoirs . Crois - tu donc que tu me convertiras au mariage par ce programme de travaux souterrains ? Hélas ! voilà donc où t' ont fait parvenir nos trop savantes rêveries ? Nous sommes sorties de Blois parées de toute notre innocence et armées des pointes aiguës de la réflexion : les dards de cette expérience purement morale des choses se sont tournés contre toi ! Si je ne te connaissais pas pour la plus pure et la plus angélique créature du monde , je te dirais que tes calculs sentent la dépravation .
Comment , ma chère , dans l' intérêt de ta vie à la campagne , tu mets tes plaisirs en coupes réglées , tu traites l' amour comme tu traiteras tes bois ! Oh ! j' aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon coeur , que de vivre dans la sécheresse de ta sage arithmétique .
Tu étais comme moi la jeune fille la plus instruite , parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses ; mais , mon enfant , la philosophie sans l' amour , ou sous un faux amour , est la plus horrible des hypocrisies conjugales .
Je ne sais pas si , de temps en temps , le plus grand imbécile de la terre n' apercevrait pas le hibou de la sagesse tapi dans ton tas de roses , découverte peu récréative qui peut faire enfuir la passion la mieux allumée .
Tu te fais le destin , au lieu d' être son jouet .
Nous tournons toutes les deux bien singulièrement : beaucoup de philosophie et peu d' amour , voilà ton régime ; beaucoup d' amour et peu de philosophie , voilà le mien .
La Julie de Jean - Jacques , que je croyais un professeur , n' est qu' un étudiant auprès de toi .
Vertu de femme ! as - tu toisé la vie ? Hélas ! je me moque de toi , peut - être as - tu raison .
Tu as immolé ta jeunesse en un jour , et tu t' es faite avare avant le temps . Ton Louis sera sans doute heureux . S' il t' aime , et je n' en doute pas , il ne s' apercevra jamais que tu te conduis dans l' intérêt de ta famille comme les courtisanes se conduisent dans l' intérêt de leur fortune ; et certes elles rendent les hommes heureux , à en croire les folles dissipations dont elles sont l' objet .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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