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J' examinais mon Louis du coin de l' oeil , et je me disais : " Le malheur l' a - t - il rendu bon ou méchant ? " à force d' étudier , j' ai fini par découvrir que son amour allait jusqu' à la passion . Une fois arrivée à l' état d' idole , en le voyant pâlir et trembler au moindre regard froid , j' ai compris que je pouvais tout oser .
Je l' ai naturellement emmené loin des parents , dans des promenades où j' ai prudemment interrogé son coeur . Je l' ai fait parler , je lui ai demandé compte de ses idées de ses plans , de notre avenir .
Mes questions annonçaient tant de réflexions préconçues et attaquaient si précisément les endroits faibles de cette horrible vie à deux , que Louis m' a depuis avoué qu' il était épouvanté d' une si savante virginité .
Moi , j' écoutais ses réponses ; il s' y entortillait comme ces gens à qui la peur ôte tous leurs moyens ; j' ai fini par voir que le hasard me donnait un adversaire qui m' était d' autant plus inférieur qu' il devinait ce que tu nommes si orgueilleusement ma grande âme .
Brisé par les malheurs et par la misère , il se regardait comme à peu près détruit , et se perdait en trois horribles craintes .
D' abord , il a trente - sept ans , et j' en ai dix - sept ; il ne mesurait donc pas sans effroi les vingt ans de différence qui sont entre nous .
Puis , il est convenu que je suis très belle ; et Louis , qui partage nos opinions à ce sujet , ne voyait pas sans une profonde douleur combien les souffrances lui avaient enlevé de jeunesse .
Enfin , il me sentait de beaucoup supérieure comme femme à lui comme homme . Mis en défiance de lui - même par ces trois infériorités visibles , il craignait de ne pas faire mon bonheur , et se voyait pris comme un pis - aller .
Sans la perspective du couvent , je ne l' épouserais point , me dit - il un soir timidement . " Ceci est vrai " , lui répondis - je gravement . Ma chère amie , il me causa la première grande émotion de celles qui nous viennent des hommes .
Je fus atteinte au coeur par les deux grosses larmes qui roulèrent dans ses yeux . " Louis , repris - je d' une voix consolante , il ne tient qu' à vous de faire de ce mariage de convenance un mariage auquel je puisse donner un consentement entier .
Ce que je vais vous demander exige de votre part une abnégation beaucoup plus belle que le prétendu servage de votre amour quand il est sincère .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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