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XII
DE MADEMOISELLE DE CHAULIEU
à MADAME DE L' ESTORADE
Février .
Ma belle biche , ce matin à neuf heures , mon père s' est fait annoncer chez moi , j' étais levée et habillée ; je l' ai trouvé gravement assis au coin de mon feu dans mon salon , pensif au - delà de son habitude ; il m' a montré la bergère en face de lui , je l' ai compris , et m' y suis plongée avec une gravité qui le singeait si bien , qu' il s' est pris à sourire , mais d' un sourire empreint d' une grave tristesse : " Vous êtes au moins aussi spirituelle que votre grand - mère , m' a - t - il dit .
Allons , mon père , ne soyez pas courtisan ici , ai - je répondu , vous avez quelque chose à me demander ! " Il s' est levé dans une grande agitation , et m' a parlé pendant une demi - heure .
Cette conversation , ma chère , mérite d' être conservée .
Dès qu' il a été parti , je me suis mise à ma table en tâchant de rendre ses paroles . Voici la première fois que j' ai vu mon père déployant toute sa pensée .
Il a commencé par me flatter , il ne s' y est point mal pris ; je devais lui savoir bon gré de m' avoir devinée et appréciée .
" Armande , m' a - t - il dit , vous m' avez étrangement trompé et agréablement surpris . à votre arrivée du couvent , je vous ai prise pour une jeune fille comme toutes les autres filles , sans grande portée , ignorante , de qui l' on pouvait avoir bon marché avec des colifichets , une parure , et qui réfléchissent peu .
Merci , mon père , pour la jeunesse . Oh ! il n' y a plus de jeunesse , dit - il en laissant échapper un geste d' homme d' État .
Vous avez un esprit d' une étendue incroyable , vous jugez toute chose pour ce qu' elle vaut , votre clairvoyance est extrême ; vous êtes très malicieuse : on croit que vous n' avez rien vu là où vous avez déjà les yeux sur la cause des effets que les autres examinent .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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