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X
MADEMOISELLE DE CHAULIEU
à MADAME DE L' ESTORADE
Janvier .
O Renée ! tu m' as attristée pour plusieurs jours . Ainsi ce corps délicieux , ce beau et fier visage , ces manières naturellement élégantes , cette âme pleine de dons précieux , ces yeux où l' âme se désaltère comme à une vive source d' amour , ce coeur rempli de délicatesses exquises , cet esprit étendu , toutes ces facultés si rares , ces efforts de la nature et de notre mutuelle éducation , ces trésors d' où devaient sortir pour la passion et pour le désir des richesses uniques , des poèmes , des heures qui auraient valu des années , des plaisirs à rendre un homme esclave d' un seul mouvement gracieux , tout cela va se perdre dans les ennuis d' un mariage vulgaire et commun , s' effacer dans le vide d' une vie qui te deviendra fastidieuse ! Je hais d' avance les enfants que tu auras ; ils seront mal faits .
Tout est prévu dans ta vie : tu n' as ni à espérer , ni à craindre , ni à souffrir .
Et si tu rencontres , dans un jour de splendeur , un être qui te réveille du sommeil auquel tu vas te livrer ? ... Ah ! j' ai eu froid dans le dos à cette pensée .
Enfin , tu as une amie .
Tu vas sans doute être l' esprit de cette vallée , tu t' initieras à ses beautés , tu vivras avec cette nature , tu te pénétreras de la grandeur des choses , de la lenteur avec laquelle procède la végétation , de la rapidité avec laquelle s' élance la pensée ; et quand tu regarderas tes riantes fleurs , tu feras des retours sur toi - même .
Puis , lorsque tu marcheras entre ton mari en avant et tes enfants en arrière glapissant , murmurant , jouant , l' autre muet et satisfait , je sais d' avance ce que tu m' écriras .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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